26 avril 2019

Champlain et les fondateurs oubliés


Le projet de recherche de l’historien Mathieu d’Avignon sur le temps des origines vient d’être réédité dans la collection À propos par Les Presses de l’Université Laval: Champlain et les fondateurs oubliés. Les figures du père et le mythe de la fondation. Le livre au format poche se distingue aussi par sa mise en page exemplaire.

L’ouvrage compte cinq chapitres précédés par la dédicace, la table des matières, les remerciements, la préface de Marcel Trudel et l’introduction générale. Il est complété par la conclusion générale, deux annexes, les notes et la bibliographie.

Le premier chapitre porte sur Champlain et les autres fondateurs de Québec et de la Nouvelle-France, les trois suivants sur l’historiographie des origines (de l’époque de Champlain à nos jours) et le dernier sur l’alliance franco-montagnaise de 1603.

Introduction générale [16 pages]

Après avoir relaté une anecdote familière, Mathieu d’Avignon rappelle la notoriété populaire de Samuel de Champlain (vers 1567-1570 - 1635) à titre de fondateur de la ville de Québec et père de la Nouvelle-France et du Québec. Il précise ensuite le double but de son étude: 1° analyser le discours des écrits de Champlain portant sur la fondation de Québec et de la Nouvelle-France; 2° analyser les discours alternatifs des représentations de Champlain à travers l’historiographie des 17e-21e siècles, notamment en ce qui concerne les contributions des Autochtones et des protestants.

L’auteur situe son étude dans le récent contexte du courant historiographique de déconstruction des mythes fondateurs. Tout en formulant une série de questions, il énumère ses principales références interprétatives produites par un grand nombre d’historiens contemporains. Retenons quelques-unes de ces questions: Peut-on vraiment parler d’un fondateur unique ou, formulée autrement, pourquoi ne parle-t-on pas des fondateurs? Champlain est-il à l’origine du mythe de la fondation? Quel rôle Champlain accorde-t-il aux Amérindiens dans son récit des origines contenu à travers les éditions de 1603, de 1613 et de 1619 et dans la Première partie de l’édition de 1632?

Mathieu d’Avignon cite des auteurs des 17e et 18e siècles sur Samuel de Champlain et leur interprétation univoque mystifiant l’unique père fondateur, par exemple ceux de Marc Lescarbot (1612), Gabriel Sagard (1615), Chrétien Le Clercq (1691) et François-Xavier Charlevoix (1744). Dans cette optique, l’alliance franco-amérindienne de 1603 et les contributions de François Gravé du Pont (vers 1554 - après 1629) et de Pierre Dugua de Mons (vers 1558 - 1628) sont minimisées ou ignorées. Cette interprétation perdure chez les historiens jusque dans les années 1950. Par exemple, les publications des Œuvres de Champlain (1870) et de la biographie Samuel de Champlain (1877), par Charles-Honoré Laverdière (1826-1873), cristallisent cette vision traditionnelle. Celle-ci est remise en question par l’historien pionnier Marcel Trudel (1917-2011), dans son opuscule de textes de première source intitulé Champlain (Montréal, Fides, 1956).

Les écrits de Champlain étant toujours d’actualité, les articles et livres dédiés à leur étude ne cessent de paraître, en particulier depuis les années 1990. Vu cette prolifération, Mathieu d’Avignon formule cette question: Quelle est donc la pertinence de cet ouvrage? À l’occasion du quatrième centenaire de Québec (2008), année de la publication initiale de son livre, le jeune historien (né en 1973) justifie ainsi la parution de son étude: Il importe de rétablir certains faits et de jeter un nouveau regard sur le temps des origines.

Les récits de Champlain [160 pages]

Le titre du premier chapitre est formulé sous forme de question: Champlain: à l’origine du mythe de la fondation?

Sommaire / Sous l’angle de cette question, le chapitre initial présente les deux hypothèses de départ de Mathieu d’Avignon, les œuvres de Samuel de Champlain, le contexte de rédaction de chacun des récits de Champlain, l’analyse des modifications apportées par l’auteur en 1632, puis les fondateurs François Gravé du Pont, Pierre Dugua de Mons, Samuel de Champlain et les Montagnais. Quatre illustrations de Champlain accompagnent les exposés: dessins des batailles de 1610 et de 1615, encarts des cartes générales de la Nouvelle-France de 1612 et de 1632. L’historien considère ce chapitre comme la pièce maîtresse de son ouvrage.

Introduction / Après avoir formulé ses hypothèses portant sur le récit de la fondation, l’auteur démontre succinctement que la fondation de Québec et de la Nouvelle-France peut être attribuée à cinq personnages: Henri IV, Samuel de Champlain, François Gravé du Pont, Pierre Dugua de Mons et Anadabijou.

Œuvres de Champlain / L’introduction est suivie d’argumentaires étayés et détaillés soutenant le bien-fondé de la démarche de l’auteur. L’analyse des œuvres de Champlain est particulièrement exhaustive et saisissante: le contenu original et l’importance historique des écrits de Champlain, l’analyse détaillée de chacune des éditions de 1603, 1613, 1619 et 1632 dans leur contexte respectif. L’étude spécifique des modifications apportées dans la Première partie de l’édition de 1632 est basée sur les analyses de Laverdière, de Lucien Campeau (1914-2003) et de Mathieu d’Avignon. Au terme de cette étude, un portrait d’ensemble est dégagé par l’auteur: les contributions de Gravé et de Dugua, ainsi que l’importance de l’alliance franco-amérindienne de 1603, sont minimisées dans l’édition de 1632. Ce constat servira de miroir, dans les chapitres ultérieurs, pour comprendre l’historiographie du récit de la fondation.

Des analyses approfondies suivent ce tour d’horizon des œuvres de Champlain. Elles portent successivement sur François Gravé du Pont, Pierre Dugua de Mons, Samuel de Champlain et les Montagnais. Les récits de Champlain sont scrutés à la loupe, statistiques à l’appui, et de nombreux passages sont cités et comparés. Le tout constitue une démonstration éloquente du point de vue retenu par Mathieu d’Avignon en ce qui concerne les cofondateurs de la Nouvelle-France.

Conclusion / Champlain adapte ses écrits en fonction du contexte politico-religieux français. Mathieu d’Avignon précise cette donnée fondamentale en indiquant pour qui et pourquoi il écrit ses récits de voyage. De plus, il ajoute que Champlain modifie son récit de 1632 en vue de se faire valoir pour la postérité, d’où la minimisation des rôles attribués à Gravé, à Dugua et aux Amérindiens.

Une historiographie des origines [365 pages]

L’historiographie de Mathieu d’Avignon sur les origines de la Nouvelle-France (atlantique et laurentienne) et sur la fondation de Québec est développée en trois chapitres. Les introductions et conclusions de ces chapitres sont exhaustives [48 pages]. Les témoins appelés à la barre de l’histoire sont nombreux et diversifiés. Les extraits de leurs écrits sont auscultés avec minutie. Visant la déconstruction du récit traditionnel de l’histoire des origines, le point de vue de l’auteur est engagé et le ton utilisé souvent polémique.

Le chapitre 2 est intitulé La naissance d’un héros français et l’édification du mythe des origines [74 pages]. Mis en contexte, les écrits de trois groupes de témoins sont cités et analysés: des poètes contemporains de Champlain (La Franchise, L’Ange, Motin, Trichet); des auteurs célèbres (Lescarbot, La Potherie, Kalm); des ecclésiastiques (Briard, Lalemant, Le Jeune, Le Mercier, Vimont, Charlevoix, jésuites; Sagard, Le Tac, Le Clercq, récollets). Leurs textes sont étudiés en fonction de leur interprétation du récit des origines, soit un récit exclusif ou pluriel de la fondation de la Nouvelle-France et de Québec.

Le chapitre 3 est intitulé La naissance du «premier Canadien» et la consolidation du mythe des origines [232 pages]. Le thème de la cristallisation du rôle de Champlain comme héros modèle (français catholique providentiel), seul fondateur de Québec et père de la Nouvelle-France, en l’absence ou mésinterprétation de l’alliance franco-montagnaise de 1603, est étayée par les analyses exhaustives des œuvres de plusieurs auteurs des 19e et 20e siècles (1837-1958). Une notice biographique de chacun de ces auteurs précède l’étude des leurs textes marquants: Michel Bibeau [7 pages], François-Xavier Garneau [31 pages], Jean-Baptiste-Antoine Ferland [18 pages], Charles-Honoré Laverdière [32 pages, y compris un passage critique sur l’enseignement de l’histoire au 19e siècle], Benjamin Sulte [57 pages], Narcisse-Eutrope Dionne [63 pages, y compris un passage sur les commémorations publiques de Champlain], et Lionel Groulx [10 pages]. Par ailleurs, la problématique de l’exclusion des protestants est considérée comme un enjeu historique et historiographique majeur. Dans sa longue conclusion, Mathieu d’Avignon s’attarde à la thématique générale du mythe des origines.

Le chapitre 4 est intitulé Vers un nouveau récit des origines [60 pages]. Il est d’une tout autre portée, car il est consacré à la réinterprétation des origines du Québec depuis le milieu du 20e siècle. Trois initiateurs sont au cœur de l’analyse de Mathieu d’Avignon: Léo-Paul Desrosiers [10 pages], Marcel Trudel [26 pages] et Victor Tremblay [12 pages]. À la suite de Laverdière et Sulte, Léo-Paul Desrosiers (1896-1967) met en relief l’importance de l’alliance franco-montagnaise de 1603 tant pour la fondation de Québec que pour le développement de la Nouvelle-France. Dans l’œuvre prolifique de Marcel Trudel (1917-2011), l’auteur cible et analyse les écrits relatifs à l’alliance de 1603 et à la fondation de Québec en 1608, pour ensuite aborder la thématique générale du mythe des origines et des héros historiques (comparaisons impliquant Champlain, Jean Talon et Madeleine de Verchères). La conclusion sur l’étude de ces écrits de Trudel est élaborée dans près de six pages, les contributions de plusieurs autres historiens contemporains étant invoqués. Victor Tremblay (1892-1979) synthétise les connaissances sur Anadabijou (15??-1611) et rappelle l’importance de l’alliance de 1603. Toutefois, Mathieu d’Avignon relativise quelque peu les bonnes relations entre Montagnais et Français au cours des années suivantes (meurtres de plusieurs Français et limitations des explorations géographiques de Champlain). La conclusion de l’auteur confirme la popularité pérenne de Samuel de Champlain dans la toponymie et la population.

L’alliance de 1603 [33 pages]

Mathieu d’Avignon se réfère à un article de Camil Girard et Édith Gagné, publié en 1995, pour tracer une historiographie de l’alliance franco-montagnaise scellée le 27 mai 1603 à la pointe Saint-Mathieu. Ensuite, il présente ses recherches personnelles sur les partenaires français et montagnais de cette alliance. Il poursuit son exposé par l’analyse critique d’un article d’Alain Beaulieu (2004) décrivant une alliance franco-amérindienne élargie plutôt que bipartite franco-montagnaise. En fin de chapitre, en citant des publications de vulgarisation, l’auteur rappelle la méconnaissance actuelle de l’alliance de 1603 dans le contexte de la nouvelle politique coloniale de la métropole française.

Conclusion générale [13 pages]

Mathieu d’Avignon passe successivement en revue le contenu de chaque partie de son livre. Les réponses aux questions posées en début d’ouvrage sont alors clairement formulées: 1° Champlain est en partie à l’origine du mythe de la fondation; 2° les principaux auteurs de la Nouvelle-France consolident le mythe des origines en façonnant Champlain comme un héros; 3° les auteurs marquants du 19e siècle et de la première moitié du 20e siècle cristallisent cette interprétation d’un fondateur unique, catholique, héroïque et désintéressé, mais ce discours dominant est toutefois quelque peu revisité par Laverdière ; 4° le renouveau de l’histoire axée notamment sur la déconstruction des mythes fondateurs aboutit à la formulation d’une nouvelle histoire plus conforme aux faits historiques; 5° l’alliance de 1603 est une composante inhérente à la fondation de Québec et de la Nouvelle-France, bien que sa reconnaissance soit encore peu répandue dans la population.

Au terme de cette recension, retenons ces propos conclusifs du jeune historien (p. 579, 580, 583): L’émergence récente d’un processus de déconstruction des héros et des mythes fondateurs n’est pas propre au Québec. […] L’émergence d’une nouvelle histoire au XXe siècle, écrite par des historiens professionnels, débouche à la fois sur une critique de l’historiographie et sur une réinterprétation du passé. […] À chaque époque ou âge, une ou des ruptures, une nouvelle mémoire, une nouvelle histoire, un Panthéon nouveau, mis à jour.

Compléments [118 pages]

Annexes [8 pages] - Lettre du roi Henri IV à son lieutenant général Pierre Dugua de Mons (8 janvier 1603) et Lettre de Pierre Dugua de Mons à Louis Hébert (18 février 1617).

Notes [83 pages] - Liste des abréviations et Notes de chaque partie du livre. Le projet de recherche étant à l’origine une thèse de doctorat, les notes sont fort nombreuses [1 971]. Bien sûr, les sources de l’auteur sont référencées dans ces notes, mais plusieurs de celles-ci contiennent également des remarques complémentaires.

Bibliographie [27 pages] - Les titres cités et mentionnés dans le livre sont regroupés sous cinq sections: Sources manuscrites; Sources imprimées; Références; Dictionnaires, romans historiques et partitions musicales; Publications électroniques et multimédias.

Appréciation

J’ai eu beaucoup de plaisir à lire cet ouvrage imposant, fruit de plusieurs années de recherche et de réflexion. L’esprit d’analyse de l’auteur est remarquable, tout comme la structuration et le déroulement de son exposé. L'ouvrage est une synthèse novatrice sur les interprétations successives des origines du Québec.

Références

Avignon, Mathieu d’. - Champlain et les fondateurs oubliés. Les figures du père et le mythe de la fondation. - Québec: Les Presses de l’Université Laval (PUL), 2019 © 2018. - xiv, 704p. - (À propos). - ISBN 978-2-7637-4212-0. - Bibliothèques de Montréal et BAnQ: à venir.

Afin d’apprécier le travail de l’historien à sa juste valeur, la lecture préalable des récits de Champlain s’impose. À cet égard, le lecteur pourra lire ces récits dans leur réédition en français moderne par Mathieu d’Avignon. La Première partie de l’édition de 1632 étant absence de cette réédition, le lecteur pourra lire cette partie initiale du récit de 1632 dans sa réédition en français moderne par Éric Thierry.

<> Samuel de Champlain. - Récits de voyages en Nouvelle-France, 1603-1632. - Réédition en français moderne, introduction et notes de Mathieu d’Avignon. - Québec: Les Presses de l’Université Laval, 2018. - xiv, 692p. - (À propos). - ISBN 978-2-7637-3912-0. - BAnQ: 971.0113 C453r 2018. - [Recension]

<> Les Œuvres complètes de Champlain. - Textes en français moderne établis, annotés et présentés par Éric Thierry. - Préface de David Hackett Fischer - Québec: Septentrion, 2019. - Tome 1, 1598-1619, 594p. - Tome 2, 1620-1635, 714p. - ISBN 9782897910396 et 9782897910426. - BAnQ: 900 T.

Le lecteur peut aussi consulter la réédition des récits de Champlain par Laverdière, l’édition citée en référence par Mathieu d’Avignon dans Champlain et les fondateurs oubliés.

<> Champlain, Samuel de. - Œuvres de Champlain. - Montréal: Les Éditions du Jour, 1973. - 3 vol. - Réédition de l’édition de Charles-Honoré Laverdière. - Québec: Geo.-E. Desbarats, 1870. - 6 vol. - BAnQ: 971.0113092 C453o 1973.

*

Dans la foulée de ces lectures, le lecteur intéressé par le courant de déconstruction en géographie, plus spécifiquement en cartographie, pourra consulter dans l’Atlas du Québec mon analyse de la carte du Saguenay-Lac-Jean-Jean (1827) dressée par Alphonse Larue (Grille d’interprétation, Synthèse / Carte d’une région). Voici un extrait de la conclusion de cette étude:

«La présence amérindienne est minimisée sur la carte, le but de celle-ci étant de présenter un vaste territoire propice à la colonisation dans une région inhabitée et propre à l'agriculture. Seuls les toponymes d'origine amérindienne et la présence de la résidence des jésuites permettent de déduire la présence d'Amérindiens. […] Cette carte a donc été produite dans un but très précis: prouver la faisabilité de la colonisation du lac Saint-Jean. L'invocation de Charles Taché, comme source de renseignements, la délimitation maximale de terres fertiles autour du lac Saint-Jean, l'indication de chemins proposés dès l'époque de François-Xavier de Charlevoix (1744) et l'absence de peuplement amérindien servent à appuyer cet objectif.»

En complément, un article sur John Brian Harley (1932-1991), un des principaux initiateurs de la réinterprétation de la nature des cartes depuis les années 1980: La nouvelle nature des cartes.

Liste des illustrations (pages)

<> Couverture - L’image de la couverture est une reproduction de la toile Champlain surveillant la construction de l’habitation de Québec (1925), par le peintre ontarien Charles William Jefferys (1869-1951). L’image de la quatrième de couverture est extraite d’un faux portrait de Champlain / Les faux portraits de Champlain (Jean Liebel, Vie des arts, vol. 28, n° 112, 1983).

<> Les récits de Champlain

Carte des environs de Québec (43)
Dessin de l’habitation de Québec (44)
Dessin de la bataille de 1609 (42)
Dessin de la bataille de 1610 (144)
Carte de la Nouvelle-France en 1612 (156)
Dessin de la bataille de 1615 (144)
Carte de la Nouvelle-France en 1632 (156)

<> Une historiographie des origines

Page titre En veillant avec les petits de chez nous (1919), J.-G. Gélinas (321)
Couverture Samuel de Champlain, fondateur et père de la patrie (1948), Guy Laviolette (322)
Couverture Inauguration du Momument Champlain à Québec (1888) (453)
Photographie La statue de Champlain et le château Frontenac (1920), Jackie (453)
Photographie Momument Champlain à Ottawa (2006), Mathieu d’Avignon (457)
Couverture Champlain (1956), Marcel Trudel (503)
Gravure Le Don-de-Dieu (1911), Laflamme et Proulx (505)
Buste du monument Pierre Dugua de Mons (2007), Mathieu d’Avignon (538)
Photographie Une muse au repos (2007), Mathieu d’Avignon (540)

<> Image complémentaire

Vers 1940 - Reconstitution de l'habitation de Champlain (Léonce Cuvelier, peintre) (BAnQ numérique)

Cartes

Encarts cartographiques - Carte générale de la Nouvelle-France (1612) et Carte générale de la Nouvelle-France (1632) dressées par Samuel de Champlain - Encarts reproduits à la page 156 et commentés aux pages 160-164. - Source iconographique: Collection numérique Cartes et plans / Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).

Article connexe

Samuel de Champlain / Récits de voyages en Nouvelle-France (1603-1632) [Réédition en français moderne, introduction et notes de Mathieu d’Avignon]

21 avril 2019

Joyeuses Pâques !


Référence

Une pensée de Montréal : Joyeuses Pâques / Carte postale [entre 1903 et 1908] - Bibliothèque et Archives nationales du Québec / BAnQ numérique.

Photographie


Pensée à cornes (Horned Violet) - Viola ‘Sorbet XP f Blue’, Violaceae, Origine horticole, Jardin botanique de Montréal © Claude Trudel, Le monde en images, CCDMD.

19 avril 2019

Les Massacres du Triumvirat / Antoine Caron


Cette toile d’Antoine Caron a été peinte en 1566. À l’origine constituée d’un seul tenant, elle fut par la suite partagée en trois sections à une date inconnue. Conservé au Louvre depuis 1939, le tableau mesure 116 x 195 cm.

Cette peinture a fait l’objet de maintes analyses, études et présentations. Voyons les grandes lignes de sa description par les historiens de l’art Rose-Marie et Rainer Hagen, dans leur célèbre livre Les dessous des chefs-d’œuvre.

La toile est peinte à l’époque des guerres de Religion (1562-1598), alors qu’Antoine Caron (1521-1599) travaille au service de la reine Catherine de Médicis (1519-1589). Le peintre s’est formé auprès de maîtres italiens à Fontainebleau. Le commanditaire du tableau, catholique ou protestant, reste inconnu.

Le tableau illustre un épisode de l’histoire romaine. Après l’assassinat de César, en l’an 43 avant J.-C., Antoine, Octave et Lépide forment un triumvirat qui fait massacrer ses adversaires politiques. Antoine Caron suit le récit de l’historien grec Appien, mais il évoque aussi le triumvirat de son époque formé par les chefs catholiques Anne de Montmorency, François de Guise et Jacques d’Albon de Saint-André opposés à la politique d’apaisement de Catherine de Médicis.

Rose-Marie et Rainer Hagen soulignent ensuite la popularité de la cruauté et de la violence dans l’art et la vie de cette époque caractérisée par les guerres en Italie et les guerres de Religion.

Au sujet des monuments romains célèbres, les auteurs citent ensuite les sources et influences d’Antoine Caron qui n’est jamais allé à Rome, dont les Antiquités de Rome de Joachim du Bellay (1522-1560), les gravures d’Antoine Lafréry (1512-1577), ainsi que les œuvres architecturales et sculpturales réalisées sous François Ier (1494-1547) à Fontainebleau. Ainsi, la distribution et les proportions des édifices ne correspondent pas à la réalité.

L’ensemble du tableau est symétrique de part et d’autre de la place centrale. Celle-ci est étalée depuis les escaliers et balustrades, jusqu’au Colisée où le triumvirat siège et, en arrière-plan, le Panthéon. À gauche de cette place, la statue d’Apollon du Belvédère, la colonne de Trajan, l’arc de triomphe de Septime Sévère, le mausolée d’Adrien. À droite, l’empereur Commode en Hercule, l’obélisque, l’arc de triomphe de Constantin, la statue équestre de Marc-Aurèle et l’arc de triomphe de Titus.

Rose-Marie et Rainer Hagen concluent leur analyse en mettant en relief la contradiction entre la forme et le sujet de cette œuvre. Par exemple, les couleurs vives et claires des têtes coupées et des corps suppliciés, des bourreaux aux poses élégantes de danseurs, la petitesse des têtes. En quelques mots: «Le réalisme, excepté dans le détail architectural, n’a pas de place dans l’univers artistique de Caron. La construction du tableau repose sur des effets de contraste […]. Ordre et désordre sont intimement liés.»

Dans Les dessous des chefs-d’œuvre, la toile est reproduite en format réduit et en grand format. Plusieurs détails sont aussi reproduits: le bourreau debout au pied de la place centrale, le triumvirat siégeant au milieu du Colisée, le bourreau en train d’arracher le cœur d’une victime au pied de la place centrale, le mausolée d’Adrien bordant le Tibre et un ballet de bourreaux.


Comme les autres descriptions de Rose-Marie et Rainer Hagen, dans Les dessous des chefs-d’œuvre, leur étude sur Les Massacres du Triumvirat d’Antoine Caron est instructive et passionnante.

Par ailleurs, dans une étude antérieure, Jean Ehrmann s’attarde au contexte historique, aux caractéristiques fondamentales et aux éléments particuliers du tableau Les Massacres du Triumvirat.

La lecture de l’article L'œil médusé, par Valérie Auclair, s’avère tout aussi captivante.

Référence

Hagen, Rose-Marie et Rainer. - «Il peint Rome et parle de Paris» dans Les dessous des chefs-d’œuvre. Un regard sur les grands maîtres. - Cologne (Allemagne): Taschen, 2016. - 788p. - (Bibliotheca Universalis). - ISBN 978-3-8365-5925-6. - [Citation, p. 297]. - Bibliothèques de Montréal et BAnQ: 759 H143d 2016 et 759.94 H143d 2014.

Références complémentaires

Ehrmann, Jean. - Antoine Caron, peintre à la Cour des Valois, 1521-1599. - Introduction de Paul-André Lemoisne. - Genève: Librairie Droz et Lille: Libraire Giard, 1955. - 64p. + 32 planches. - [Voir Tableaux de Caron, p. 16-22, Note sur les tableaux des ‘Massacres du Triumvirat’, p. 48-50, Planche IV Massacre des Triumvirs (vers 1562) et Planche VII Massacres du Triumvirat (1566)]. - Bibliothèque centrale de Montréal [BAnQ]: 759.4 C293eh.

L'œil médusé. - Perspective et interprétations des Massacres du Triumvirat d'Antoine Caron (1566) - Valérie Auclair (Communication, 2009/2, n° 85, pages 79 à 101)

Image

Les Massacres du Triumvirat (Antoine Caron, 1566) [Photo © Musée du Louvre / A. Dequier - M. Bard — Photographies - Toute réutilisation non commerciale est autorisée sous condition de la mention de la source et de l’auteur.]

Article connexe

La campagne électorale | William Hogarth

12 avril 2019

Le Journal de ma disparition / Camilla Grebe


La forêt de sapins s’éclaircissait à mesure que nous avancions, comme si les arbres reculaient sur notre passage, et nous avons débouché sur la petite clairière où se dressait le monticule de pierres.

Le polar se déroule dans la petite ville suédoise d’Ormberg et ses environs. Une carte sommaire de cet endroit isolé de la province de Sudermanie est affichée au début du roman. Au cœur du récit comme de cette région, la montagne bordée à l’ouest par une rivière, au sud par une autoroute, à l’est par des routes secondaires et le centre-ville. Le tout constellé à la périphérie d’anciennes grandes entreprises aujourd’hui désaffectées.

Le livre aurait pu s’intituler La fille d’Ormberg, car c’est la découverte du cadavre de celle-ci qui déclenche les péripéties initiales de l’histoire. Tout au long du récit, de nouvelles intrigues se développent au grand plaisir du lecteur. L’histoire se complexifie sans cesse jusqu’à la dernière page. L’écriture intense de ce polar favorise une lecture continue, avec un minimum d’interruptions.

Le style dynamique de la composition se caractérise notamment par une narration à trois voix, souvent imbriquées l’une dans l’autre. Les relations, les dialogues et les descriptions sont remarquables. Les personnages sont bien typés. Les paysages, les maisons et les autres bâtiments sont décrits avec minutie. Les actions s’enchaînent avec fluidité.

Plus qu’un simple polar, cette œuvre de fiction aborde un grand nombre de problématiques contemporaines, dont les différentes facettes du cycle de la vie (enfance, adolescence, jeunesse, maturité, vieillesse), les relations parents-enfants, les premiers amours, les maladies physiques et mentales, les mutations économiques, les relations avec les réfugiés et les immigrants, l’isolement social, etc. Par ailleurs, l’épilogue témoigne de l’humanisme exemplaire de l’auteure.

Un livre captivant, passionnant, à lire d’une seule traite! À juste titre, son auteure est surnommée La reine du polar polaire.

Référence

Grebe, Camilla. - Le Journal de ma disparition. - Traduit du suédois par Anna Postel. - Paris: Calmann-Lévy, 2018. - 475p. - (Le Livre de poche, n° 35270). - ISBN 978-2-253-09271-1. - [Citation, p. 17]. - Prix du meilleur polar suédois et Prix des lecteurs 2019. - Bibliothèques de Montréal et BAnQ: GRE Cam jo et Grebe G788j.

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Photo © Claude Trudel, Le monde en images, CCDMD.

05 avril 2019

La Principauté de Liège au 18e siècle


La Principauté de Liège a existé pendant plus de huit siècles, soit de 985 à 1789. La carte ci-dessus a été dressée vers 1740. Sur un support de papier et mesurant 102 x 81 cm, elle est constituée de 2 feuilles assemblées, selon une échelle attribuée de 1:170 000.

Au premier coup d’œil, on distingue ses trois composantes: l’illustration, le carton de la Ville de Liège et la carte topographique de la Principauté de Liège. L’illustration est en noir et blanc, tandis que le carton et la carte sont en couleur.

Illustration

Alors que la carte et le carton sont évidemment statiques, l’illustration qui les surplombe présente un aperçu dynamique des activités provinciales de la principauté liégeoise. L’horizon est celui d’un plat pays. Au premier plan, depuis la gauche, on distingue successivement des travailleurs (charbonniers, tanneurs, charretiers et paysans). À droite, deux aristocrates de retour d’une chasse à courre (chiens, cor, proie en bandoulière). Les vêtements des uns et des autres indiquent clairement leur statut social respectif. Le personnage principal figure possiblement le prince-évêque Georges-Louis de Berghes (1724-1743) ou Jean-Théodore de Bavière (1744-1763). On remarque plusieurs outils (pelle, brouette, fléau, sac à dos, table, canne, fouet, couteau, charrette, faucille, panier) et diverses constructions (moulin à eau, puits, cheminée, maisons). Le milieu minéral est représenté par le charbon, le milieu aquatique par les puits, le milieu végétal par le blé, les vignes, les arbres et un boisé.

Ces scènes de vie sont encadrées par les armoiries de la Principauté de Liège à gauche et par un tombeau à l’antique à droite. L’autorité princière est figurée par la couronne et deux symboles référant au prince-évêque de Liège, la crosse à gauche (pouvoir ecclésiastique) et l’épée à droite (pouvoir séculier). Sur les armoiries, on retrouve notamment des symboles représentatifs d’entités constitutives de la principauté: ville de Liège (colonne), duché de Bouillon (trois bandes superposées), marquisat de Franchimont (lions), comté de Looz (bandes superposées), comté de Horn (huchets) et comté de Limbourg (lion). La devise en latin reprend l’appel lancé par Pierre L’Ermite lors de la première croisade de 1095: «Dieu le veut».

Les ornements de l’illustration contiennent des guirlandes où sont entremêlés des plantes et des objets familiers: poêle, râteau, corbeille, fusil, carabine. Une fine ligne continue encadre l’illustration tout en la joignant à la carte.

Ville de Liège

Le plan de la Ville de Liège est inséré dans un carton. C’est une reproduction du plan édité par Christophe Maire vers 1740. Une échelle graphique en verges est insérée sous le cartouche de titre. Une rose des vents indique que le plan est orienté vers le nord géographique. La ville est entourée des anciens remparts colorés en rouge. D’une façon schématique, on peut distinguer les trois grandes zones urbaines traversées par le fleuve La Meuse: le centre-ville avec la cathédrale, les marchés et le palais (rive gauche), l’île et l’Outremeuse. Précisons que la cathédrale occupe le site de la maison primitive de saint Lambert dans laquelle il a été assassiné vers l’an 700. Une légende est affichée sous le plan: portes, ponts, hôpitaux et chapelle (lettres); rues (chiffres); église et paroisses (rubriques spécifiques). Bien que non précisés dans cette légende, on retourne plusieurs symboles sur le plan, dont ceux des édifices, jardins, vignes, pépinières et boisés.

Carte de la principauté

La carte est encadrée par une double ligne, l’une épaisse, l’autre mince. À l’intérieur, une ligne graduée sur laquelle sont inscrites les coordonnées géographiques, les longitudes selon le méridien de Paris. Une grille conséquente de ces coordonnées est superposée sur le territoire cartographié.

Le cartouche de titre est impressionnant par sa surface et son ornementation. Il contient plusieurs informations sur le document cartographique: le titre de la carte, les sources documentaires, le dédicataire et le cartographe. Le titre indique que la carte porte sur la principauté de Liège et ses environs. Les sources proviennent des jésuites Nicolas Le Clerc [1655?-1742?] et Cristoforo Maire [1697-1767], D.L.C.D.J. [de la compagnie de Jésus]. Le dédicataire est le prince-évêque de Liège. L’auteur est le cartographe Christophe Maire.

L’échelle graphique de la carte, située sous la légende du carton de la Ville de Liège, est graduée en lieues communes, une lieue commune correspondant à 5 km. Sous cette échelle figure la légende ornementée de la carte (exemples): Ville (Liège), Bourg (Spa), Village ou Hameau (Renardmont), Abbaye ou Couvent (Noumoutier), Paroisse ou Chapelle (Noria), Château (Ramet), Commanderie. D’autres symboles non indiqués dans cette légende figurent aussi sur la carte: route, cours d’eau, marais, forêt, relief.

À titre indicatif, l’Encyclopédie Wikipédia recense ainsi les divisions territoriales de la Principauté de Liège:

- Capitale: Liège.
- Bonnes Villes: 1° villes «françoises»: Châtelet, Ciney, Couvin, Dinant, Fosses-la-Ville, Huy, Liège, Thuin, Verviers, Visé, Waremme; 2° villes «thioises»: Beringen, Bilzen, Brée, Hamont, Hasselt, Herck-la-Ville, Looz, Maaseik, Peer, Saint-Trond, Stokkem, Tongres.
- Quartiers: 1° quartiers de banlieue: Amercœur, Avroy, Sainte-Marguerite, Sainte-Walburge et Saint-Léonard; 2° quartiers hors-banlieue: Amont, Condroz, Entre-Sambre-et-Meuse, Franchimont, Hesbaye, Horn, Looz, Moha, Montenaken, Stokkem.
- Seigneuries allodiales au nombre de 62.

Plusieurs de ces entités sont identifiées sur la carte, souvent partiellement, selon différentes couleurs. Les toponymes sont inscrits avec des tailles variées. Voyons quelques exemples: Comté de Looz, Pays de Stavelot, Stavelot, Neuville. Les toponymes des centres urbains majeurs sont inscrits en caractères romains, tandis que ceux des sites moins importants sont en italiques.

Globalement, ce foisonnant document cartographique présente trois volets de la Principauté de Liège au milieu du 18e siècle: le territoire, sa capitale et les activités des gens.

Généalogie

Les dizaines de milliers de Trudel, Trudelle et Trudell d’Amérique ont pour ancêtres Jean Trudel (1629-1695), né à Parfondeval (Perche, France), et Marguerite Thomas (1634-1699), née à Stavelot (Liège, Belgique). Ils se sont mariés au Québec en 1655. Ils ont été inhumés à L'Ange-Gardien, sur la côte de Beaupré, où ils ont vécu jusqu’à la fin de leur vie. C’est donc avez beaucoup d’intérêt et de curiosité que j’ai analysé cette carte de la Principauté de Liège, mon ancêtre maternelle étant originaire de cette région belge.

Carte

17?? - Principauté de Liège - Carte de la principauté de Liège et de ses environs tirée des observations faites sur les lieux par le R.P. Nicolas Le Clerc, avec un plan de la ville de Liège levé par le R.P. Christophe Maire / par P. Maire - Auteur: Cristoforo Maire (1697-1767), Dessinateur: Remacle Le Loup (17..-17..?), Graveur: Nicolas Leclerc (17..-17..?) / Éditeur: (Liège) - Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Cartes complémentaires

17?? - Principauté de Liège - Carte de la principauté de Liège et de ses environs tirée des observations faites sur les lieux par le R. P. Nicolas Le Clerc, et augmentée par un habil ingénieur d'une partie considérable du Brabant des environs de Berg op Zoom, Breda, et Boisleduc... / E: Kints, Éditeur : se vend chez Everard Kints (Liège) - Gallica/BnF

17?? - Principauté de Liège - Carte de la principauté de Liège et de ses environs tirée des observations faites sur les lieux par le R.P. Nicolas le Clerc, avec un plan de la ville de Liège levé par le R.P. Christophe Maire, auteur; Maire, Cristoforo (1697-1767), cartographe; Leclerc, Nicolas (17..-17..?), auteur adapté; Éditeur: (À Liège) - [4 feuilles] - Gallica/BnF

1746 - Ville de Liège - Plan de la ville de Liège - Gallica/BnF

1747 (première publication) - Principauté de Liège - Carte de la Principauté de Liège et de la Comté de Namur tirée des observations faites sur les lieux par le R. P. Nicolas Le Clerc, avec un plan de la ville de Liège levé par le R. P. Christophe Maire D.L.C.D.J. Dédiée à Son Altesse Evêque Prince de Liège et à ses Etats par leur très humble serviteur P. Maire. - Bibliothèque de l’Université de Liège

Références

Demoulin, Bruno, dir. - Liège et les palais des princes-évêques. - Bruxelles: Fonds Mercator, 2008. - 320p. - ISBN 978-90-6153-800-4. - [Plan similaire de la Ville de Liège (1742) reproduit à la page 35]. - [Voir La demeure d’un homme de Dieu et d’un seigneur de la terre, par Jean-Louis Kupper, p. 12-29, et L’espoir: le temps du renouveau et des crises (1477-1789), par Bruno Demoulin, p.30-85]. - BAnQ: 725.10949346 L7192 2008.

Principauté de Liège (Wikipédia) - Territoires constitutifs de la Principauté de Liège.

Trudel, Paul-Eugène, compilateur. - Généalogie de la famille Trudel (Trudelle) en Amérique, 1655-1955. - Montréal: Famille Trudel, 1955. - 950p. - Bibliothèques de Montréal et BAnQ: 929.2 TRUD et 929.20971 T86615tb 1956.

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