Biz / Naufrage (roman)
Une double écriture, celle du narrateur omniscient en caractères italiques, celle du protagoniste narrateur en caractères réguliers. La première introduit le récit de chaque chapitre. Au cours de sa lecture, le lecteur découvrira le sens de cette structure binaire.
L’introduction du chapitre initial raconte la naissance du fils du protagoniste, un événement vécu d’une façon aussi réjouissante que traumatisante. Le ton est donné, direct, ainsi que le style d’écriture, dynamique. L’intertextualité s’affiche: On dirait une Walkyrie qui sonne la charge. L’histoire est évoquée: Comme une tête réduite par les Jivaros. Quel plaisir de retrouver ces qualités littéraires de Biz! Le premier récit raconte la mutation du fonctionnaire Frédérick Limoges d’un service gouvernemental à un autre dans le contexte actuel du néolibéralisme: J’avais le canon de l’austérité appuyé sur la tempe. Les portraits des personnages sont saisissants de pittoresque et de réalisme. L’humour, l’humour caustique, en plus. Les renvois culturels s’insèrent naturellement au cours des péripéties, tels les dieux Chronos, Zeus et Apollon, L’Illiade et Nestor, la dynastie Qin, le peintre Krieghoff, les personnages jeunesse de Caillou, Tison et Lagaffe. Les émotions intenses sont rendues par d’éloquentes figures de style, dont celle-ci: Notre famille était enlacée en un triangle amoureux parfaitement équilatéral.
Trois ans plus tard. Le père et son fils en visite au château de Jésus. Deux épisodes suivent cette introduction du deuxième chapitre. D’abord une excursion éprouvante du protagoniste au fin fond des archives: J’étais au cœur de la mémoire de l’État. Puis une fin de semaine typique en compagnie de sa femme Marieke et de leur fils Nestor. Dans ce récit, les évocations militaires contrastent avec les scènes d’amour du couple, tels ces termes belliqueux: combat, assaut, corrida, fusil, armurerie, aïkido, commando, tireur d’élite, attaque, défense, mitraillé, peloton d’exécution, soldat, armée, centurion, camp, trêve, artillerie, révolution, horreur. Tout comme à la fin du récit initial, le roman Les Bienveillantes (Jonathan Littell) figure à la fin de ce chapitre. Dans les deux cas, le protagoniste compare sa situation avec celle décrite (relater) par Maximilien Aue. Dans ce cas-ci, il formule la réflexion suivante: Qui sait si la décision de rationalisation des structures dont j’étais moi-même victime avait été prise sur la foi de mes propres analyses.
Le double chapitre médian est précédé d’une brève introduction (trois ans plus tard): déception paternelle, réplique du fils, sœur révélée. Suit le récit en deux séquences. Le protagoniste décide de s’en prend à ses collègues, dans un premier temps: Je serais le détecteur de fusée dans l’incendie, la gorge profonde d’où rugirait la vérité. Surgit une tragédie, dans un second temps: Je suis engourdi, incapable de réagir au réel. C’est le tournant de l’histoire, mais laissons au lecteur le soin de découvrir la suite du récit…
J’ai lu Naufrage avec beaucoup d’intérêt. Œuvre littéraire certes, mais aussi didactique. Trois exemples: l’émergence de la fonction publique sous les Qin, l’étymologie du prénom Nestor et les exploits de Pierre Le Moyne d’Iberville.
Référence
Biz [Sébastien Fréchette]. - Naufrage. - Montréal: Leméac, 2016. - 135p. - ISBN 978-2-7609-4723-8. - Bibliothèques de Montréal et BAnQ: C848 B625n et Biz B625n.
Sur la Toile
Plonger dans l'abîme avec Biz (Danielle Laurin, Le Devoir, 30-31 janvier 2016)
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