Cent cinquante ans avant l’Angleterre, le Portugal fait le choix géographique de la mer et pratique une expansion en réseau constitué de forts, de comptoirs et de ports. À l’instar des Grecs, un tel système de réticulation géographique les conduira à monter un véritable empire thalassocratique sur les bords des océans Atlantique et Indien, ainsi qu’à s’approprier une bonne partie du Nouveau Monde.
Au point de départ, l’Empire portugais est dû à Henri le Navigateur (1394-1460). Il fait construire une flotte de caravelles à Lagos, ouvre une école de navigateurs à Sagres, et fonde sa politique coloniale sur quatre piliers: le comptoir, la donation de terres, le monopole et le secret. Ce plan méthodique est expliqué avec brio par Martine Droulers dans son livre sur la géohistoire du Brésil. L’œuvre d’Henri le Navigateur est poursuivie par ses successeurs, Jean II (1455-1495) et Manuel Ier (1469-1521).
Le Brésil
Si l’Empire portugais se développe systématiquement le long des côtes africaines et asiatiques, c’est par hasard qu’il s’étend au Nouveau Monde. En effet, d’une façon fortuite, en 1500, le navigateur Pedro Alvarez Cabral (1467-1520) accoste sur une terre inconnue dont il prend possession au nom du Portugal en la dénommant Vera Cruz. Quelques années plus tard, le cartographe portugais Lopo Homem dresse une carte magnifique du Brésil selon une configuration qui perdurera jusqu’à nos jours:
Un survol de cette carte portulan permet de noter certaines données significatives: la domination maritime du Portugal dans l’Atlantique Sud (navires, pavillons et drapeaux du Portugal), les toponymes (seulement) sur les côtes du Brésil, le remplissage de l’intérieur (inconnu) du continent par des scènes amérindiennes et des animaux tropicaux, la démarcation occidentale correspondant à une ligne verticale (imaginaire) allant de l’embouchure du fleuve Amazone à l’embouchure du Rio de la Plata. Le document reflète manifestement les ambitions et projections impériales du Portugal. Sous les signes de la croix et du cercle, Martine Droulers explique les avancées territoriales du Portugal en terre américaine.
La croix et le cercle
À l’instigation de l’Espagne, le pape d’origine espagnole Alexandre VI (1431-1503) partage le monde entre les empires espagnol et portugais en 1493, soir un an après les premières explorations de Christophe Colomb (1451-1506) dans le Nouveau Monde. Un an plus tard, d’un commun accord, les deux royaumes ibériques signent le traité de Tordesillas démarquant plus à l’ouest la zone atlantique réservée au Portugal. Après la découverte de Cabral en sol américain, le partage se trouve en quelque sorte sacralisé sur le territoire brésilien. Une croix (virtuelle) apparaît à la convergence des coordonnées de l’Équateur et du méridien arrêté par le traité de Tordesillas. À titre d’exemple, cette
croix figure clairement sur la carte de 1573 dressée par le cartographe portugais
Domingos Teixeira:
Un survol de cette carte portulan permet d’observer le partage du monde entre les puissances ibériques (blasons différents de part et d’autre du méridien Tordesillas, celui-ci étant tracé au milieu et reproduit aux extrémités du document). La délimitation occidentale du Brésil est à l’avantage du Portugal: les deux rives du Rio de la Plata sont portugaises et le fleuve se prolonge presque jusqu’à l’embouchure de l’Amazone en traversant un immense lac (imaginaire) non identifié.
Afin de pousser plus loin vers l’ouest leur possession brésilienne, les Portugais vont recourir à une nouvelle figure géométrique tout aussi emblématique que celle de la croix. Il s’agit du cercle symbolisant l’«île Brésil». La carte de Lopo Homem de 1519, contenue dans l’
Atlas Miller, préfigure les représentations ultérieures de l’
insularité du Brésil. L’évolution dans la représentation cartographique de l’«île Brésil» est démontrée par Martine Droulers par les figurations des cartes de Lopo Homem (1554), Bartolomeo Velho (1561), Bartolomeo Lasso (1589) / Petrus Plancius (1592-1594), Luis Teixeira (1600) et Johannes Blaeu (1639). La carte de
Dominguos Sanches de 1618 illustre aussi très bien cette conception circulaire du Brésil:
Sur cette carte, l’immense lac situé au bout du Rio de la Plata est identifié. Il s’agit du
Laguo Eupana, dénommé autrement sur d’autres cartes:
Xaraes, Lagoa de Ouro, Laguna Encatada ou
Paraupaba. Ce lac imaginaire n’est pas sans rappeler le légendaire lac (ou mer) de l’Ouest cartographié sur des cartes de l’Amérique du Nord.
Au terme de cette exploration, retenons la conclusion de Martine Droulers: «Des centaines de cartes comportant ce type de représentation insulaire ont été répertoriées. Elles soulignent l’influence de la cartographie et la force de représentation que les Portugais mettent au service de leurs intérêts politiques et commerciaux pour légitimer leur expansionnisme. Une forme idéale, en somme, pour faire apparaître l’unité géographique et humaine du Brésil, même si ses contours restent encore largement flous.»
Référence
Droulers, Martine. - Brésil: une géohistoire. - Paris: PUF, 2001. - 307p. - (Géographies). - ISBN 978-2-13-051439-1. - BAnQ: 911.81 D788b 2001. - [Citations, p. 15 et 28]. - [
La force des représentations géographiques, p. 24-28].
Cartes
1519 -
Brésil - [Atlas nautique du Monde, dit atlas Miller]; 2-5. [Atlas Miller: feuilles 2 à 5 ] / [Feuille 5 r°: Océan Atlantique Sud-Ouest avec le Brésil] / Lopo Homem, cartographe présumé / Carte portulan - Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France (BnF)
1573 -
Monde - [Planisphère] / Domingos Teixeira. - Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France (BnF)
1618 -
Monde - [Carte nautique de l'Océan Atlantique, de la Méditerranée et d'une partie de l'Océan Pacifique] / Dominguos Sanches a fes em Lisboa anno 1618 / Carte portulan. - Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France (BnF)
Sur la Toile
L’île Brésil (La force d’un mythe cartographique) (Enali de Biaggi et Martine Droulers,
Mappemonde, 2003)
Article connexe
Géohistoire du Brésil (Martine Droulers)