Le livre des étreintes est un recueil de quelque 170 courts textes écrits et illustrés par Eduardo Galeano. La publication du recueil par Lux Éditeur est d’une facture exemplaire.
Contexte
J’ai lu ce recueil après avoir écouté la lecture du texte Les chiffres et les gens, un extrait du livre lu et commenté par Gabriel Nadeau-Dubois à l’occasion de son passage au Salon du livre en Abitibi-Témiscamingue. La vidéo est affichée sur le site La fabrique culturelle (Télé-Québec).
Le journaliste et écrivain Eduardo Galeano est un des auteurs favoris de Gabriel Nadeau-Dubois. L’étudiant québécois, auteur de Tenir tête, estime que Les chiffres et les gens est une critique d’une certaine conception de l’économie. La croissance et la création de la richesse, selon le discours entendu, seraient synonymes de bien-être pour les gens. En réalité, ce n’est pas toujours vrai, car bien souvent la prospérité génère la misère, l’exploitation, voire la destruction.
Texte
Les chiffres et les gens fut évidemment le premier texte du recueil Le livre des étreintes que j’ai lu. Il est constitué de cinq paragraphes.
Le paragraphe initial commence par une question : Où faut-il se présenter pour toucher le revenu par habitant? Le lecteur est tout de suite saisi par cette interrogation étonnante. Quelle habileté littéraire de la part de l’auteur qui transmute sous la forme d’une question pratique une notion statistique banale largement véhiculée par les médias. Bien plus, Galeano rend cette question vitale : Plus d’un mort de faim aimerait le savoir.
Les paragraphes suivants citent tour à tour des cas survenus en Uruguay, à Cuba, en Amérique centrale et en Colombie.
Le deuxième paragraphe évoque le titre du texte en disant que les chiffres sont plus chanceux que les gens. Deux questions, aussi saisissantes que celle du paragraphe initial, sont ensuite posées, à savoir combien de personnes profitent du développement.
L’exemple de Cuba est éloquent, la révolution ayant surgi au moment même où l’île connaissait sa plus grande prospérité.
L’Amérique latine est ensuite conviée : le désespoir et la misère sont directement proportionnels aux indices de croissances élevés, les plus hauts par ailleurs au cours des années cinquante, soixante et soixante-dix.
Le dernier paragraphe contient la conclusion en soulignant des contrastes marqués en Colombie où les rivières de sang et les rivières d’or confluent. Alors que le pays connaît l’euphorie de la croissance économie, il produit des quantités délirantes de cocaïne, de café et de crimes.
Une image évocatrice illustre le paradoxe décrit dans ce récit : un poisson tenant un parapluie. Par ailleurs, ce dessin par Galeano illustre deux autres textes : Paradoxes et Cortázar.
Étreintes
Un texte aussi captivant que Les chiffres et les gens, au niveau des idées comme du style, est assurément une invitation irrésistible à parcourir tout le recueil. Parmi les autres étreintes, pour diverses raisons, j’ai particulièrement aimé celles-ci :
Le langage de l’art
Nuit de Noël
Les biens
Chronique de la ville de Rio
La vie professionnelle / 2
La vie professionnelle / 3
Mappemonde / 2
Nouvelles
Profession de foi
Des illustrations sont insérées ici et là, dans tout le livre, entre, parmi et autour des étreintes. Certaines vont croissante d’une page à l’autre, d’autres sur deux pages successives séparent des poèmes, ou vagabondent à travers le livre, se répètent à l’identique plus loin dans le recueil, s’interpellent, sont amusantes, intrigantes, fantaisistes, composites, torturées... Comment les lire, les interpréter et saisir leurs connotations?
Le Livre des étreintes est une mosaïque jaillissante de récits, de poèmes, d’idées, de sentiments, d’émotions, de styles et d’illustrations. On y trouve tout de même certains thèmes récurrents tels le monde, l’art, la parole, les rêves, la bureaucratie, les faits vécus, les écrivains latino-américains, l’amour, les chroniques urbaines, la mémoire, le système, la culture de la terreur, l’exil, le rire, l’amitié et le courage face aux dictatures, aux dictateurs et aux tortionnaires. Quelle joie de découvrir des textes illustrés aussi savoureux, diversifiés et significatifs!
Références
[ 1 ] Galeano, Eduardo. – Le livre des étreintes. – Traduit de l’espagnol (Uruguay) par Pierre Guillaumin. Traduction revue et corrigée. – Montréal : Lux, 2012. – 274p. – (Orphée). – ISBN 978-2-89596-141-3. – Bibliothèques de Montréal et BAnQ : 868.64 G152L 2012. – [Les chiffres et les gens, p. 79].
[ 2 ] Gabriel Nadeau-Dubois et Le livre des étreintes (Entrevue, La vitrine culturelle, 15 juillet 2014) (Vidéo produite par Télé-Québec, 2 min 22 sec)
Présentation :
Gabriel Nadeau-Dubois nous parle et nous lit un extrait de son coup de cœur de l’été : Le livre des étreintes de Eduardo Galeano.
De passage au Salon du livre en Abitibi-Témiscamingue, Nadeau-Dubois y a présenté son livre Tenir tête.
Crédits :
Réalisation, caméra et montage : Éric St-Laurent
Télé-Québec Abitibi-Témiscamingue : Josée Lacoste; André Cullen
Remerciements : Salon du livre de l’Abitibi-Témiscamingue, édition 2014 (Amos); Transport Bergeron Maybois; Bibliothèque municipale d’Amos
[ 3 ] L'ombre des charognards plane sur Buenos Aires (Gabriel Nadeau-Dubois, avec la collaboration d'Aurélie Lanctôt, Ricochet, 1er août 2014). – Dans cet article, le jeune chroniqueur cite notamment Eduardo Galeano : « Certains cœurs angéliques croient encore que tous les pays s'arrêtent là où s'étendent leur frontières. »
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