Le groupe québécois est formé des célèbres rappeurs Batlam (Sébastien Ricard), Biz (Sébastien Fréchette) et Chafiik (Mathieu Farhoud-Dionne).
Dans un livre d’une centaine de pages, Marie-Claude Tremblay présente une analyse textuelle des œuvres de Loco Locass produites avant Le Québec est mort, vive le Québec!
L’ouvrage propose des clés d’interprétation pour mieux comprendre les chansons du trio et mieux apprécier leur richesse poétique.
Précédée d’une introduction, l’étude est déclinée en trois chapitres : Les lieux de l’engagement, L’actualisation de l’engagement, La communication artistes-public : une portée engageante. Cette étude est suivie d’une conclusion et d’une bibliographie.
L’introduction présente le triple but de l’ouvrage :
1° l’examen des thèmes identifiant les différents lieux de l’engagement du trio;
2° les signes du discours et les procédés formels qui participent à la formation du sens;
3° les procédés rhétoriques qui constituent des appels au public.
Volet 1 – Thèmes
Les principales préoccupations des rappeurs portent sur la défense de la langue française et la souveraineté du Québec.
Le thème de la langue française est abordé sous deux aspects :
- la langue comme outil de communication (Langage-toi, Malamalangue);
- la langue comme mode d’expression artistique (La survenante, Art poétik, Priapée la p’tite vite, Manifestif).
L’autre thème majeur porte sur l’indépendance du Québec (Sheila, ch’us là, Vulgus vs Sanctus, Art Politik, Résistance, Engouement, Roc rap). Ce thème est exploité en lien direct avec la défense de la langue française et l’ouverture aux autres peuples (Art Politik, Engouement, Sheila, ch’us là, Maison et Idéal).
Les thèmes complémentaires, souvent concomitants aux thèmes principaux, sont multiples :
- l’actualité politique par des critiques du capitalisme américain (L’empire du pire en pire, W Roi) et des partis politiques québécois (Vulgus vs Sanctus, Libérez-nous des libéraux, Super Mario);
- l’idéal de la création artistique (Potsotjob, Maison et Idéal), en opposition aux stéréotypes (Manifestif, I represent rien pantoute) et aux médias (Médiatribes);
- des points de vue sur certains problèmes contemporains tels le suicide (M’accrocher?), les relations entre les autochtones et les blancs (La paix des braves), les motards (Antigone), le droit d’auteur (Petit rap anti-rapt), la drogue (Bonzaîon), les conflits intergénérationnels (Boom baby boom), les émeutes de la Saint-Jean (La casse du 24), le désintérêt envers notre histoire nationale (La censure pour l’échafaud);
- le lyrisme exprimant des domaines plus intimes, comme l’amour (Isabeille et Biz) et l’angoisse (Spleen et Montréal).
Tout en poursuivant une tradition séculaire d’engagement politique chez les chanteurs québécois, Loco Locass renouvelle les thématiques de cette pérennité par leur regard novateur sur notre société actuelle.
Volet 2 – Actualisation de l’engagement
L’intertextualité et l’interphonographie, ainsi que la voix et la musique, sont utilisées par Loco Locass pour actualiser leur engagement envers la nation québécoise.
A) Courtepointe musicale et textuelle
Le trio actualise le discours nationaliste par l’inclusion de citations et d’échantillons dans presque toutes leurs chansons.
Des exemples d’interphonographie (échantillons) :
- Langage-toi (L’argent ou le bonheur, Yvon Deschamps)
- Malamalangue (Speak white, Michèle Lalonde)
- Art poétik (Nataq, Richard Desjardins)
- I represent rien pantoute (Compagnons des Amériques, Gaston Miron)
- Vulgus vs Sanctus (Le Confort et l’indifférence, Denys Arcand)
Des exemples d’intertextualité (citations) :
- références de diverses natures : onomastique (Sheila ch’us là), télévisuelle (Sheila ch’us là), musicale (Potsotjob), dramatique (Boom baby boom), picturale (Priapée la p’tite vite);
- types de recours variés : allusion, citation, mention, métaphore, etc. (Art poétick, Malamalangue).
B) Voix américanisée
La voix de Loco Locass se caractérise par sa polyphonie en harmonisant l’héritage québécois d’origine française et la modernité limitrophe américaine, notamment par le choix du rap comme expression musicale.
Cette polyphonie se manifeste également par des voix ajoutées (Sheila ch’us là, Langage-toi, Spleen et Montréal, Engouement, Isabeille et Biz, Maison et Idéal, La paix des braves).
Les registres langagiers sont aussi mélangés, le parler populaire québécois (Engouement, Manifestif) côtoyant le parler soutenu français. Le trio recourt aussi à de vieilles expressions entremêlées d’expressions contemporaines.
Les textes peuvent être chantés par une, deux ou trois voix, selon le caractère intimiste (préoccupation personnelle de l’auteur) ou collectif (langue et souveraineté) propre à chaque chanson (albums Manifestif et Amour oral).
Somme toute, la polyphonie pratiquée par Loco Locass renforce le sentiment nationaliste en le renouvelant.
Volet 3 – Communication artistes-public
La démarche de Loco Locass est engageante, car elle suscite la participation de son auditoire à l’action par des appels explicites et implicites.
Les énonciateurs des textes s’expriment à la première personne, je ou nous, tandis que les récepteurs des chansons sont identifiés par le pronom tu (individuel ou collectif).
Marie-Claude Tremblay illustre cette dimension participative / communicative dans son analyse détaillée de L’assaut, Langage-toi, Manifestif et Engouement, ces quatre chansons s’adressant directement au public.
D’une façon explicite, différents moyens énonciatifs sont employés pour inciter les destinataires à l’action : injonction (fais), identification (mon frère, camarades), exhortation (prière), intonation (arrangements musicaux et démultiplication des voix des rappeurs).
Par ailleurs, les auditeurs engagés sont appelés à interpréter les appels implicites. L’intertextualité, l’interphonographie, les jeux langagiers et les métadiscours employés par Loco Locass requièrent la compétence de ces auditeurs dans l’interprétation des chansons.
En plus d’être récepteurs, ces auditeurs engagés sont en quelque sorte des coauteurs des textes. Leurs compétences encyclopédiques, linguistiques et socioculturelles leur permettent de saisir le sens des chansons, les renvois historiques et artistiques, les connotations des expressions et les termes soutenus ou spécialisés (sémantique, didactique, synapse, clepsydre) utilisés par le trio.
C’est lors de spectacles que la communication artistes-public prend sa forme la plus manifeste, le je se transformant en nous (chant collectif, danse spontanée, gestuelle partagée). L’adhésion du public au discours du trio y trouve alors sa manifestation la plus complète. À cet égard, la prestation de l’hymne Libérez-nous des libéraux est exemplaire…
Dans la conclusion de son ouvrage, Marie-Claude Tremblay récapitule l’essentiel de son analyse magistrale. J’ai particulièrement aimé cette réflexion liminaire :
L’œuvre de Loco Locass est dense, foisonnante, et renferme de multiples sens que l’auditeur est appelé à découvrir. En somme, elle nous demande, public, de la faire vivre.
La bibliographie recense le corpus étudié et plusieurs références citées en cours d’ouvrage. Signalons que la longue entrevue de Christopher Jones avec Loco Locass est aussi accessible sur la Toile.
Appréciation
L’ouvrage de Marie-Claude Tremblay est assurément un guide pédagogique, un outil didactique, permettant d’explorer, de découvrir et d’apprécier toute la richesse de l’œuvre de Loco Locass. C’est sous cette optique qu’il m’est apparu le plus instructif, le plus utile.
Un livre captivant sur un trésor inestimable!
Référence
Tremblay, Marie-Claude. – Loco Locass : la parole en gage : l’engagement dans les rapoèmes et le rôle que l’auditeur est amené à y jouer. – Montréal : Triptyque, 2011. – 101p. – ISBN 978-2-89031-725-3. – Cote BAnQ : 789.4900922 L819t 2011. – [Citation, p. 93].
Ressources complémentaires
Loco Locass, un groupe engageant ? (Marie-Claude Tremblay, 2009)
Un interview avec Loco Locass (Christopher Jones, 2006)
Nos sillons d'engagement (La question de l'engagement dans les chansons de Loco Locass) (Dany St-Laurent, Mémoire, UQAM, 2007)
Article connexe
Libérez-nous des libéraux