22 juillet 2023

Contes de la Montagne sereine


Les Éditions Gallimard viennent de rééditer le recueil intitulé Contes de la Montagne sereine. Cet ouvrage fut initialement édité sous les Ming, vers 1550, par le grand bibliophile Hong Pian (Hong Zimei).

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Le traducteur français Jacques Dars relate dans son introduction les découvertes successives des vingt-sept contes populaires au début du 20e siècle, au Japon et en Chine. Il décrit ensuite les traits spécifiques de ces récits anciens désignés sous le nom huaben, c’est-à-dire livret, fascicule, petit recueil de récits ou d’histoires.

Dans la longue préface, Jeannine Kohn-Étiemble aborde le genre huaben sous l’angle d’une problématique diachronique, sociologique et linguistique. Son analyse repose sur son métier de comparatiste et généraliste : « Toute littérature fut d’abord populaire ; littérature populaire et orale, d’où elle émergea en élaborant et perlaborant des thèmes itératifs et des formes quasi figées, pour devenir enfin littérature écrite : conte, récit, nouvelle, épopée, roman, poésie ; tressant parfois, et même souvent, la matière et la manière de la littérature populaire pour donner un roman d’aventures. »

La préfacière traite spécifiquement de ces sujets : les interprétations de Vladimir Propp (Morphologie du conte, Les Racines historiques du conte merveilleux), et de Jacques Le Gorf et Emmanuel Le Roy (Mélusine maternelle et défricheuse) ; la condition féminine dans diverses sociétés (Histoire de Lotus à la verve intarissable, dans le recueil, Décaméron, de Boccace) ; le thème de l’anneau ; l’art du conteur (gestuelle et narration stéréotypées).

Jeannine Kohn-Étiemble conclue ses propos en identifiant le huaben au genre récit, voire nouvelle, plus encore que du conte.

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Les Contes de la Montagne sereine sont regroupés en cinq parties :

Recueil de la fenêtre pluvieuse
Recueil de l’appui sur l’oreiller
Recueil de contes 1
Recueil de contes 2
Recueil de contes 3.

Les notes du traducteur sont regroupées à la fin de l’ouvrage.

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Présentons, à titre d’exemple, le conte intitulé Liu Qiqing rime et potaille au Pavillon-où-contempler-le-fleuve (Recueil de contes 1, p. 221-226), un conte jamais traduit dans aucune langue.

Selon André Lévy, cité par Jacques Dars, les poèmes insérés dans le récit sont truffés d’allusions érotiques pouvant relever d’une tradition burlesque populaire (voir les notes 11 et 20, page 519).

La structure générale du conte est stéréotypée : prologue [poème liminaire] → introduction [auteur, époque, protagoniste] → élément déclencheur et péripéties → conclusion.

Les transitions entre les séquences narratives sont également stéréotypées, par exemple : adonc, un jour, au bout de deux mois, il y avait, ce jour-là, parlons maintenant, quand, cette nuit-là, soudain.

Dans quelle maison trouver tendre donzelle plus belle que Heng’Ee

Ce premier vers du poème liminaire évoque la déesse de la Lune, l’immortelle Chang’e. [Soulignons que ce nom mythologique a été repris récemment par l’Administration spatiale nationale chinoise pour désigner sa mission à destination de la Lune.] Ce vers et les suivants annoncent le caractère érotique du récit.

L'introduction identifie l’auteur du conte, Liu Yong, l’époque de l’histoire, celle du règne de l’empereur Shenzong, de la dynastie des Song, et le protagoniste Liu Qiqing. La présentation de celui-ci par le narrateur est dithyrambique : « Il avait juste vingt-cinq ans, était d’une beauté fascinante, d’une grande liberté d’allure, et doué de capacités hors du commun. » Son occupation de prédilection est la fréquentation des courtisanes. Trois hétaïres entretiennent d’ailleurs le jeune mandarin.

Un jour, Liu Qiqing va au Pavillon-où-contempler-le-fleuve, situé à Jinling [Nankin], pour admirer le paysage. Complètement ivre, il compose au pinceau un poème à chanter intitulé « La Belle Yu », puis retourne dans la capitale. Cet épisode sera évoqué ultérieurement en écho, d’où le titre du conte.

Sa réputation de lettré exemplaire incite les hauts fonctionnaires à proposer à l’empereur la nomination de Liu Qiqing au poste de sous-préfet à Yuhang, une ville située au nord-ouest de la capitale impériale Hangzhou. Suggestion acceptée. Une fois de plus, le narrateur fait l’éloge du protagoniste : « En vérité, c’était un magistrat incorruptible dans son administration, un juge sans ambiguïté dans les affaires judiciaires! »

Au bout de deux mois, Liu Qiqing fait construire à ses frais un pavillon imitant celui de Jinling. Dénomme Pavillon-où-contempler-le-fleuve, ce bâtiment est destiné à son plaisir. Un jour, après un banquet donné à cet endroit, Zhou Yuexian refuse les avances de Liu Qiqing. Frustré, le mandarin recourt à un stratagème pour obtenir les faveurs de la très belle chanteuse-prostituée Immortelle-de-la-lune. Un franc succès pour son initiateur, mais jugé fort différemment par la victime :

Quel détestable sort que d’être courtisane,
Et, en butte aux outrages, de ne rien oser dire!

À la fin du récit, le narrateur précise que durant les trois années que Liu Qiqing fut en poste à Yuhang « tous deux s’aimaient de tout cœur ». Leur séparation fut « chagrin des deux côtés » (poème de conclusion anonyme).

Référence

Collectif. - Contes de la Montagne sereine. - Traduction, introduction et notes par Jacques Dars. - Préface par Jeannine Kohn-Étiemble. - Paris : Gallimard, 2023 © 1987, 554p. - (Connaissance de l’Orient) - ISBN 978-2-07-299283-4. - BAnQ et Bibliothèques de Montréal : 895.134608 C7618 1987 et 398.2 C761.

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Sur la Toile

Bibliographie des travaux sinologiques de Jacques Dars (Pierre Kaser)

Image

Lac de rêve (Jardin de Chine, Jardon botanique de Montréal) © 2021, Claude Trudel, Le monde en images, CCDMD.

La Collection de Claude Trudel compte plusieurs milliers de photos botaniques. Les photos originales ont une résolution de 2048 x 1152 pixels, mais elles sont aussi disponibles aux formats 320 x 180 pixels, 800 x 450 pixels, 1024 x 576 pixels et 1920 x 1080 pixels. Les photos peuvent être vues individuellement ou en diaporama. Elles peuvent aussi être envoyées au format carte postale virtuelle. Sous une licence CC BY-NC-SA, les photos peuvent être utilisées gratuitement à des fins éducatives non commerciales.

06 juillet 2023

Empire ottoman, par Edhem Eldem


Si l’histoire ne change pas vraiment, l’historiographie est constamment en mouvement, dans le but avoué d’affiner notre compréhension du passé, non par une quête futile d’une vérité que les historiens ont depuis longtemps reléguée au statut de fantasme positiviste, mais par la recherche de moyens pour mieux cerner cet enchevêtrement de réalités.

Prologue

Le Que sais-je? inédit du professeur Edhem Eldem sur l’histoire de l'Empire ottoman débute par un long prologue. Comme l’atteste la citation ci-dessus, les considérations de l’auteur sur la notion historiographie, en général, et de l’historiographie de l’Empire ottoman, en particulier, sont tout aussi remarquables que pertinentes.

L’historien cite ensuite les nombreux facteurs favorisant la réinterprétation de l’histoire de cet empire (1299-1923) : « Si l’on voulait les résumer en une phrase, il conviendrait probablement de dire que d’une structure principalement narrative et descriptive nourrie par une causalité parfois simpliste et souvent forcée, l’histoire s’est acheminée vers un discours de plus en plus analytique et critique fondé sur un raisonnement complexe et divers. »

La suite du prologue traite des nouvelles sources documentaires, puis des visions traditionnelles et dominantes de l’histoire de l’Empire ottoman, tant en Occident qu’en Turquie.

Empire ottoman

Intitulé Naissance et essor d’un État, le chapitre 1 aborde d’une façon chronologique l’histoire de l’Empire ottoman, depuis sa naissance en 1299 jusqu’à la prise de Constantinople en 1453. Après avoir présenté les origines obscures du fondateur Osman (1258-1326/1326) et du terme ottoman, l’auteur relate les conquêtes successives des Ottomans en Anatolie et dans les Balkans, puis les circonstances de la prise et de l’occupation de la capitale byzantine par Mehmed II.

Les chapitres 2 et 3 sont thématiques. Intitulés respectivement Un empire est né et Rapports de force, ils contiennent la description de l’évolution des structures impériales sous le règne de Mehmed II (1432-1481). Ces institutions perdureront au cours des règnes suivants : symbolisme, islamisation, esclavage (janissaires), absolutisme, codification des lois, règle de succession, gestion des religions et des classes sociales, statut de la progéniture du sultan.

Le chapitre 4, à caractère événementiel et intitulé Le siècle d’or?, est consacré aux règnes de Mehmed II (conquêtes consécutives à la chute de Constantinople), Bayezid II (1447-1512), Selim Ier 1470-1520), Süleyman (1494-1566), surnommé Soliman le Magnifique en Occident, et Selim II (1524-1574). Au cours de cette période, les relations politiques et diplomatiques, ainsi que les conflits militaires, s’intensifient entre l’Empire ottoman et les puissances occidentales (Charles Quint, François Ier). Les relations avec l’Iran sont aussi conflictuelles. Une carte intitulée Expansion de l’Empire ottoman (1300-1683) est insérée à la fin de ce chapitre.

Le chapitre 5 intitulé Les rouages du pourvoir traite des relations diplomatiques inégalitaires entre l’Empire ottoman sous Soliman le Magnifique et les puissances européennes. Les capitulations sont expliquées dans ce contexte. Le second volet du chapitre porte sur la comparaison entre les armées et marines en présence, dans le contexte du débat historiographique sur le déclin de la puissance ottomane.

Les caractéristiques de l’économie ottomane, comparées à celles de l’Espagne, de la France, de l’Angleterre et des Pays-Bas, sont présentées dans le chapitre 6 intitulé Économie. L’étendue spatiale de l’Empire ottoman, l’emprise de l’État et la nature essentiellement agraire de l’économie, laissait peu de place au développement des autres secteurs.

Le chapitre 7, intitulé Société et cultures, est l’un des plus intéressants. La société est abordée en comparant l’Empire ottoman à l’Europe contemporaine : « L’Empire ottoman était pluriel en ce sens qu’il était humainement et culturellement formé d’un très grand nombre de communautés extrêmement variées. […] Il ressort de ces cas une pratique européenne – chrétienne – reposant sur un binôme qui restera longtemps étranger au monde ottoman : l’expulsion et l’assimilation. » Ces explications permettent de mieux comprendre le monde actuel. Les diverses cultures de l’Empire ottoman sont détaillées sous ces volets : architecture, littérature, peinture, calligraphie et artisanat.

Les chapitres 8 et 9 sont événementiels. Le chapitre 8, intitulé Les défis de la modernité, est divisé en trois parties : les crises et les transformations (guerres et conscrits, successions impériales, femmes de pouvoir), l’empire en difficulté (développement des contre-pouvoirs et pertes territoriales), le calme avant la tempête (influences extérieures, commerce international, avancée de la Russie en mer Noire).

Intitulé Une fin interminable, et précédé par une carte sur les Pertes territoriales de l’Empire ottoman (1774-1914), le dernier chapitre est aussi divisé en trois parties : le rapprochement forcé avec l’Europe (réformes de Mahmud II et révoltes en Grèce et en Égypte), la ruée vers l’Occident (égalité des sujets et crise globale), le repli et l’effondrement (règne d’Abdülaziz, guerres et massacres).

Compléments

L’ouvrage est complété par une bibliographie et la table des matières. La bibliographie est ainsi ventilée : ouvrages de synthèse; pour en savoir plus; récits et textes ottomans disponibles en français; auteurs contemporains à découvrir en français sur le site Gallica (Bibliothèque nationale de France); Bibliothèques d’Orient (BnF) et Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (CETOBaC).

Appréciation

L’intérêt de ce livre est multiple : les considérations historiographiques développées dans le prologue, la contextualisation des faits marquants de l’histoire et des traits sociaux de l’Empire ottoman, la comparaison entre l’évolution de cet empire et celle des empires européens. Soulignons aussi la clarté des propos et la structure de l’exposé.

Référence

Eldem, Edhem. - L’Empire ottoman. - Paris : Humensis, 2022. - 128p. - (Que sais-je?, n° 4226. - Inédit. - [Citations : p. 3-4, 4-5, 78-79]. - BAnQ : 956.1015 E375e 2022.

Image

Tulipe (Tulipa, Liliaceae) © 2016, Claude Trudel, Le monde en images, CCDMD.

Céramique d’Iznik (Turquie), Jardin de la Paix, Jardin botanique de Montréal. – Inauguré le 18 mai 2000, ce jardin thématique a été réalisé sous les auspices et grâce aux contributions du bureau du maire de la Ville de Montréal, de la communauté turque de Montréal et de la Fondation des céramiques d'Iznik de Turquie.

La Collection de Claude Trudel compte plusieurs milliers de photos botaniques. Les photos originales ont une résolution de 2048 x 1152 pixels, mais elles sont aussi disponibles aux formats 320 x 180 pixels, 800 x 450 pixels, 1024 x 576 pixels et 1920 x 1080 pixels. Les photos peuvent être vues individuellement ou en diaporama. Elles peuvent aussi être envoyées au format carte postale virtuelle. Sous une licence CC BY-NC-SA, les photos peuvent être utilisées gratuitement à des fins éducatives non commerciales.