Contes de la Montagne sereine
Les Éditions Gallimard viennent de rééditer le recueil intitulé Contes de la Montagne sereine. Cet ouvrage fut initialement édité sous les Ming, vers 1550, par le grand bibliophile Hong Pian (Hong Zimei).
Le traducteur français Jacques Dars relate dans son introduction les découvertes successives des vingt-sept contes populaires au début du 20e siècle, au Japon et en Chine. Il décrit ensuite les traits spécifiques de ces récits anciens désignés sous le nom huaben, c’est-à-dire livret, fascicule, petit recueil de récits ou d’histoires.
Dans la longue préface, Jeannine Kohn-Étiemble aborde le genre huaben sous l’angle d’une problématique diachronique, sociologique et linguistique. Son analyse repose sur son métier de comparatiste et généraliste : « Toute littérature fut d’abord populaire ; littérature populaire et orale, d’où elle émergea en élaborant et perlaborant des thèmes itératifs et des formes quasi figées, pour devenir enfin littérature écrite : conte, récit, nouvelle, épopée, roman, poésie ; tressant parfois, et même souvent, la matière et la manière de la littérature populaire pour donner un roman d’aventures. »
La préfacière traite spécifiquement de ces sujets : les interprétations de Vladimir Propp (Morphologie du conte, Les Racines historiques du conte merveilleux), et de Jacques Le Gorf et Emmanuel Le Roy (Mélusine maternelle et défricheuse) ; la condition féminine dans diverses sociétés (Histoire de Lotus à la verve intarissable, dans le recueil, Décaméron, de Boccace) ; le thème de l’anneau ; l’art du conteur (gestuelle et narration stéréotypées).
Jeannine Kohn-Étiemble conclue ses propos en identifiant le huaben au genre récit, voire nouvelle, plus encore que du conte.
Les Contes de la Montagne sereine sont regroupés en cinq parties :
Recueil de la fenêtre pluvieuse
Recueil de l’appui sur l’oreiller
Recueil de contes 1
Recueil de contes 2
Recueil de contes 3.
Les notes du traducteur sont regroupées à la fin de l’ouvrage.
Présentons, à titre d’exemple, le conte intitulé Liu Qiqing rime et potaille au Pavillon-où-contempler-le-fleuve (Recueil de contes 1, p. 221-226), un conte jamais traduit dans aucune langue.
Selon André Lévy, cité par Jacques Dars, les poèmes insérés dans le récit sont truffés d’allusions érotiques pouvant relever d’une tradition burlesque populaire (voir les notes 11 et 20, page 519).
La structure générale du conte est stéréotypée : prologue [poème liminaire] → introduction [auteur, époque, protagoniste] → élément déclencheur et péripéties → conclusion.
Les transitions entre les séquences narratives sont également stéréotypées, par exemple : adonc, un jour, au bout de deux mois, il y avait, ce jour-là, parlons maintenant, quand, cette nuit-là, soudain.
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Ce premier vers du poème liminaire évoque la déesse de la Lune, l’immortelle Chang’e. [Soulignons que ce nom mythologique a été repris récemment par l’Administration spatiale nationale chinoise pour désigner sa mission à destination de la Lune.] Ce vers et les suivants annoncent le caractère érotique du récit.
L'introduction identifie l’auteur du conte, Liu Yong, l’époque de l’histoire, celle du règne de l’empereur Shenzong, de la dynastie des Song, et le protagoniste Liu Qiqing. La présentation de celui-ci par le narrateur est dithyrambique : « Il avait juste vingt-cinq ans, était d’une beauté fascinante, d’une grande liberté d’allure, et doué de capacités hors du commun. » Son occupation de prédilection est la fréquentation des courtisanes. Trois hétaïres entretiennent d’ailleurs le jeune mandarin.
Un jour, Liu Qiqing va au Pavillon-où-contempler-le-fleuve, situé à Jinling [Nankin], pour admirer le paysage. Complètement ivre, il compose au pinceau un poème à chanter intitulé « La Belle Yu », puis retourne dans la capitale. Cet épisode sera évoqué ultérieurement en écho, d’où le titre du conte.
Sa réputation de lettré exemplaire incite les hauts fonctionnaires à proposer à l’empereur la nomination de Liu Qiqing au poste de sous-préfet à Yuhang, une ville située au nord-ouest de la capitale impériale Hangzhou. Suggestion acceptée. Une fois de plus, le narrateur fait l’éloge du protagoniste : « En vérité, c’était un magistrat incorruptible dans son administration, un juge sans ambiguïté dans les affaires judiciaires! »
Au bout de deux mois, Liu Qiqing fait construire à ses frais un pavillon imitant celui de Jinling. Dénomme Pavillon-où-contempler-le-fleuve, ce bâtiment est destiné à son plaisir. Un jour, après un banquet donné à cet endroit, Zhou Yuexian refuse les avances de Liu Qiqing. Frustré, le mandarin recourt à un stratagème pour obtenir les faveurs de la très belle chanteuse-prostituée Immortelle-de-la-lune. Un franc succès pour son initiateur, mais jugé fort différemment par la victime :
Quel détestable sort que d’être courtisane,
Et, en butte aux outrages, de ne rien oser dire!
À la fin du récit, le narrateur précise que durant les trois années que Liu Qiqing fut en poste à Yuhang « tous deux s’aimaient de tout cœur ». Leur séparation fut « chagrin des deux côtés » (poème de conclusion anonyme).
Référence
Collectif. - Contes de la Montagne sereine. - Traduction, introduction et notes par Jacques Dars. - Préface par Jeannine Kohn-Étiemble. - Paris : Gallimard, 2023 © 1987, 554p. - (Connaissance de l’Orient) - ISBN 978-2-07-299283-4. - BAnQ et Bibliothèques de Montréal : 895.134608 C7618 1987 et 398.2 C761.
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Bibliographie des travaux sinologiques de Jacques Dars (Pierre Kaser)
Image
Lac de rêve (Jardin de Chine, Jardon botanique de Montréal) © 2021, Claude Trudel, Le monde en images, CCDMD.
La Collection de Claude Trudel compte plusieurs milliers de photos botaniques. Les photos originales ont une résolution de 2048 x 1152 pixels, mais elles sont aussi disponibles aux formats 320 x 180 pixels, 800 x 450 pixels, 1024 x 576 pixels et 1920 x 1080 pixels. Les photos peuvent être vues individuellement ou en diaporama. Elles peuvent aussi être envoyées au format carte postale virtuelle. Sous une licence CC BY-NC-SA, les photos peuvent être utilisées gratuitement à des fins éducatives non commerciales.