Les Suites pour violoncelle seul / Eric Siblin
Dès les premières notes, j’ai été conquis. Pardon! Dès les premiers mots, j’ai été captivé par le récit…
La structure de l’histoire racontée par Eric Siblin emprunte celle de la pièce composée par Jean-Sébastien Bach (1685-1750): «Les six Suites pour violoncelle comportent chacune six mouvements; elles commencent par un prélude et s’achèvent par une gigue. Entre les deux interviennent d’anciennes danses de cour – une allemande, une courante et une sarabande –, après lesquelles Bach insère une danse plus «moderne»: menuet, bourrée ou gavotte.» Chaque partie (suite) est illustrée par un extrait de sa partition. Chaque chapitre (mouvement) débute par une épigraphe. Le récit est empreint de détails historiques, d’anecdotes révélatrices et d’humour de bon aloi.
Première suite
Dans le Prélude, Eric Siblin consacre d’abord deux paragraphes à la partition de ce mouvement. Il raconte ensuite sa découverte des Suites pour violoncelle seul, puis les vicissitudes de la popularité de l’œuvre depuis le début du 18e siècle jusqu’à nos jours. Les notes sont absentes de l’Allemande. L’auteur aborde plutôt la méconnaissance de la biographie de Bach, tout en se concentrant sur le portrait du musicien peint par Elias Gottlob Haussmann en 1748. La Courante dévoile le milieu familial de Bach, sa formation musicale, ses premiers emplois et son premier mariage avec sa petite-cousine Maria Barbara Bach. L’auteur relate la genèse probable des Suites pour violoncelle seul, en décrivant les caractéristiques de chacun de ses mouvements. Au cours de ces années, Bach devient maître de chapelle à la cour princière de Cöthen. Avec la Sarabande, c’est l’occasion de parler du violoncelliste Pablo Casals (1876-1973), de ses parents et de sa formation musicale. Le Menuet révèle la découverte des Six Sontes ou Suites pour Violoncelle Seul par J. Seb.Bach par le jeune Pablo, en 1890, dans une libraire de la Carrer Ample (Barcelone). L’ascension de la carrière internationale du virtuose est ensuite détaillée, notamment à Barcelone, Madrid, Londres et Paris. Dans le dernier mouvement, la Gigue, l’auteur rend compte du premier Festival Bach annuel de Montréal.
Deuxième suite
Tout en contraste avec la suite initiale, la deuxième suite est triste. Le Prélude indique à la fois le contexte historique, le décès de Maria Barbara, et les caractéristiques de l’harmonie implicite pratiquée par Bach. L’Allemande débute par la montée en puissance de la Prusse et de sa capitale, Berlin. Un lien révélateur est ensuite établi entre les Concertos brandebourgeois et les Suites pour violoncelle seul. La Courante précise que Bach ne fut pas populaire en son temps. Son retour débuta seulement en 1829 par l’exécution de la Passion selon saint Matthieu dirigée par Félix Mendelssohn (1809-1847). La Sarabande est consacrée à la carrière internationale de Casals, de 1901 à 1914, et à sa liaison avec la violoncelliste Guilhermina Suggia (1885-1950). Le Menuet porte sur le mariage malheureux entre Casals et Susan Metcalfe (1878-1959), le retour en Catalogne du violoncelliste, la dictature de Miguel Primo de Rivera et le décès de sa mère tant aimée en 1931. Dans la Gigue, l’auteur montréalais rapporte ses recherches documentaires sur les Suites pour violoncelle seul à Barcelone, Vendrell et San Salvador, puis sa rencontre avec le grand violoncelliste contemporain Misha Maisky.
Troisième suite
Le Prélude débute d’une façon éclatante par le mariage de Bach avec la cantatrice Anna Magdelena Wilcken (1701-1760). L’Allemande marque un tournant dans la vie de Bach: les décès de ses frères, la diminution du budget musical alloué par le prince Léopol et le départ de la cour de Cöthen pour Leipzig en 1723. La Courante est dramatique, sanglante et meurtrière, car elle porte sur le début de la Seconde République espagnole (1931-1936). La ferveur républicaine et catalane de Casals est illustrée. La Sarabande n’est pas en reste: les fascistes déclenchent une guerre civile (1936-1939), assassinent et forcent à l’exil des centaines de milliers de leurs concitoyens. Casals fait appel à l’aide internationale pour secourir son pays et les victimes des fascistes. Au cours de cette période désespérante, il enregistre les Suites pour violoncelle seul chez EMI. Dans la Bourrée, l’auteur évalue les différentes versions enregistrées des suites depuis leur enregistrement initial par le pionnier Casals (2e et 3e en 1936, 1e et 6e en 1938, 4e et 5e en 1939). La Gigue présente Walter Joachim (1912-2001), ancien premier violoncelliste de l’Orchestre symphonique de Montréal (1953-1979): sa formation musicale en Allemagne, ses premiers emplois, son exil, puis sa carrière internationale. L’auteur raconte ensuite son apprentissage du violoncelle à la suggestion de Joachim.
Quatrième suite
Le Prélude relate le déménagement et l’installation de la famille Bach à Leipzig. Les nouvelles tâches de Bach, à titre de cantor, sont exigeantes et multiples. Au cours des cinq premières années dans cette ville, Bach compose plus de deux cents cantates et ses deux célèbres passions. L’auteur s’attarde longuement sur la Passion selon saint Jean dans l’Allemande. Un passage est consacré au chef actuel de l’Orchestre symphonique de Montréal, l’Américain d’ascendance japonaise Kent Nagano. Les querelles de Bach avec les autorités locales sont relatées dans la Courante, ainsi que quelques épisodes de sa vie familiale. La Sarabande se déroule au cours de la Seconde Guerre mondiale, alors que Casals vit retiré à Prades. Après la capitulation allemande, il est réclamé dans plusieurs villes. Il connaît de grands succès populaires, mais il décide rapidement de ne plus jouer à la suite de la reconnaissance du régime dictatorial espagnol par les pays occidentaux. La Bourrée est dédiée au Festival Bach de Prades, inauguré par Casals, à l’occasion du 200e du décès de naissance de Bach. L’auteur raconte sa participation à une Fin de semaine Bach au Centre musical du lac MacDonald dans les Laurentides au printemps 2008.
Cinquième suite
La consultation par Siblin de la partition de la [5e] Suite pour la Luth par J. S. Bach, à la Bibliothèque royale de Belgique, est décrite dans le Prélude. Le mouvement suivant, l’Allemande, est consacré à la Saxe et aux tentatives infructueuses de Bach pour obtenir un emploi à Dresde. Dans la Courante, l’auteur épilogue sur les carrières musicales des fils de Bach, l’identité de Schouster et une prestation des suites par Maria Magdelena Wiesmaier lors d’un séjour de Siblin à Leipzig. La Sarabande donne lieu aux deux mariages tardifs de Casals, le premier avec la veuve Franquita Vidal de Capdevilla, le second avec la jeune Portoricaine Marta Montañez. La participation de Casals dans la salle de l’Assemblée générale de l’ONU, en 1958, est célébrée dans la Gavotte. Les différentes transpositions de l’œuvre de Bach depuis le 18e siècle sont discutées dans la Gigue: «La conclusion, rabattue mais vraie, est que chaque époque réinvente Bach à sa façon.»
Sixième suite
Le Prélude souligne que cette suite a été créée pour un instrument à cinq cordes. Cette précision est suivie de la rencontre de Bach avec Frédéric le Grand en 1747, des dernières années du compositeur et des répercussions de son décès (1750) pour sa femme et ses cinq enfants encore à la maison. L’Allemande raconte les carrières des fils de Jean-Sébastien Bach, Gottfried Heinrich, Johann Christian, Carl Philipp Emanuel, Wilhelm Friedemann, Johann Christoph Friedrich, ainsi que la dispersion des œuvres de leur père. La Courante porte sur la transcription des Suites pour violoncelle seul, entre 1727 et 1731 par Anna Magdelena Wilcken. Le mystère de l’instrument à cinq cordes est soupesé dans la Sarabande. Les dernières années de Casals, son inhumation à Porto Rico puis à Vendrell sont rapportées dans la Gavotte. Dans dernier mouvement de l’œuvre, la Gigue, qui est aussi le dernier chapitre du livre, Siblin spécule sur l’éventuelle découverte du manuscrit autographe des Suites pour violoncelle seul.
Et puis les notes?
L’ouvrage d’Eric Siblin n’est pas un essai musical ou musicologique. C’est plutôt le fruit d’une recherche approfondie sur la genèse et les singularités des Suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach et l’interprétation de cette œuvre par Pablo Casals et d’autres violoncellistes. C’est aussi le récit des biographies de ces deux musiciens et de quelques autres célébrités historiques ou contemporaines. C’est surtout un merveilleux livre sur le monde réel de musiciens célèbres. La richesse documentaire et le style de l’auteur rendent captivant l’ensemble de son exposé. Bref, une courtepointe d’une lecture fort agréable.
À titre indicatif, voici une sélection de passages consacrés spécifiquement aux notes et partitions des Suites pour violoncelle seul:
Suites 1-6 / 37-39, 163-164, 258, 262, 292, 299, 300-301
Suite 1 / 9-10, 258-259, 299
Suite 2 / 67, 69-71, 76, 79-80
Suite 3 / 115, 140-144, 151-153, 254, 260-262
Suite 4 / 159-160, 164, 171, 174
Suite 5 / 209-212, 234-236, 281-282
Suite 6 / 265-266, 317
Compléments
La table des matières figure à la fin du livre. La première partie liste les six chapitres correspondant aux six Suites pour violoncelle seul. La seconde a trait aux compléments: Notes (sources documentaires pour chaque mouvement de chaque suite), Bibliographie sélective (traductions en français ajoutées), Choix discographique, Remerciements, Index, notice biographique sur Eric Siblin. Des extraits d’une quinzaine de critiques sont cités après la table des matières.
Référence
Siblin, Eric. - Les Suites pour violoncelle seul. En quête d’un chef-d’œuvre baroque. - Traduit par Robert Melaçon. - Montréal: Groupe Fides, 2015 © 2009. - 374p. - (Biblio-Fides). - ISBN 978-2-7621-3906-8. - Bibliothèques de Montréal et BAnQ: 787.41858 B118s 2012 et 787.4092 S564c F2015. - [Citations, p. 16 et 257]. - L’ouvrage s’est mérité plusieurs prix.
Lecture complémentaire
Tranchefort, François-René, dir. - Guide de la musique de chambre. - Paris: Fayard, 2003 © 1989. - viii, 995p. - (Les indispensables de la musique). - ISBN : 978-2-213-02403-0. - Bibliothèques de Montréal et BAnQ: 785.017 G et 785.017 G946gu 1989. - [Johann Sebastian Bach, Les Suites pour violoncelle seul, p. 23-25].
Enregistrements
Des enregistrements des Suites pour violoncelle seul peuvent être empruntés dans les Bibliothèques de Montréal et à la Grande Bibliothèque. Par ailleurs, plusieurs enregistrements sont proposés sur la Toile.
Cartes
Jean-Sébastien Bach / 1749 - Leipzig - Denen Hoch Edelgebohrnen Magnificis Hochelden Vesten u. Hochgelarten auch Hochweisen Herren, Herren Burgemeistern, Proconsulibus Baumeistern, Syndico Stadt Richtern und Andern Hochanfebnl, Affefforibus des Hochlöbl. Stadt-Regiments u Derofelben Gerichte wird dieser Grundriss der Stadt Leipzig / von den Homannischen Erben / Héritiers de Homann, cartographe / Homannischen Erben, éditeur - Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.
Pablo Casals / 1888 - Barcelone - Plano de Barcelona / gravé par R. Hausermann / Éditeur A. Piaget (Barcelona) - Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France - [La Carrer Ample s’appelait alors Calle Ancha; voir p. 49-50 et 104-105 dans le livre de Siblin].
Sur la Toile
Festival Bach Montréal
Le mystère des Suites pour violoncelle seul de Bach (Caroline Montpetit, Le Devoir, 28 avril 2012)