Carte / Amérique du Nord britannique (1831)
Cette carte à petite échelle a été dressée par Joseph Bouchette (1800-1881), fils du célèbre cartographe Joseph Bouchette (1774-1841). Arpenteur général adjoint du Bas-Canada avant 1829, Joseph Bouchette fils occupe le poste d’arpenteur général par intérim (1829-1834) lorsque son père va à Londres pour la production de sa seconde carte à grande échelle du Bas-Canada (1831). Celui-ci prolonge son voyage en Europe jusqu’en 1834.
Collée sur une toile, la carte est constituée de trois feuilles séparées (mais assemblées sur la carte numérisée par la Bibliothèque nationale de France). La carte est en anglais, car elle a été produite pour les autorités britanniques.
Le cadre de la carte est composé d’un trait épais bordé de deux traits minces. Ce cadre est crevé à plusieurs endroits: île du Prince-Édouard, Nouvelle-Écosse, lac Érié, lac Huron. Les indications relatives à l’éditeur sont inscrites dans la marge inférieure de la carte: James Wyld, géographe du Roi, à Londres, le 2 mai 1831.
Le cartouche de titre est volumineux et ornementé. Il contient plusieurs éléments: le nom du dédicataire (Guillaume IV), le titre de la carte (Map of the Provinces of Lower & Upper Canada, Nova Scotia, New Brunswick, Newfoundland & Prince Edward Island with a large section of the United States), les sources documentaires, le nom et le titre du cartographe (Joseph Bouchette fils, arpenteur général adjoint du Bas-Canada), le nom et l’adresse du graveur (J. & C. Walker).
Les colonies canadiennes, une partie des provinces maritimes et le nord-est des États-Unis d’Amérique font l’objet de la carte principale, alors que les cartes figurant dans les deux cartons portent respectivement sur la région du golfe Saint-Laurent (Bas-Canada et provinces atlantiques) et la région occidentale de l’Amérique du Nord britannique. Voyons d’abord les éléments cartographiques de la carte principale.
La carte est orientée vers le nord géographique. Elle est quadrillée par les coordonnées géographiques. Les degrés des longitudes et des latitudes sont indiqués et gradués tout autour de la carte, à l’intérieur du cadre. Le méridien d’origine est celui de Greenwich. Le type de projection n’est pas indiqué sur cette carte, pas plus que sur les cartes secondaires.
Trois échelles graphiques figurent sur la carte: en milles géographiques, en milles britanniques et en lieues françaises. Selon la notice bibliographique affichée dans la Bibliothèque numérique Gallica (BnF), l’échelle numérique de la carte est d’environ 1/1 960 000.
La typographie (tailles et polices de caractères) reflète la hiérarchie des divisions politiques et administratives du territoire cartographié (exemples): provinces (Bas-Canada), districts (Montréal), comtés (Drummond), seigneuries (Contrecœur), cantons (Chester). Il en va généralement de même pour les autres toponymes: villes (Québec), villages (Berthier), routes (Craig), cours d’eau (fleuve Saint-Laurent, lac Saint-Pierre, rivière Richelieu), etc. La présence amérindienne est signalée ici et là: le Village indien (Kahnawake), la Mission d’Oka (Kanesatake), le poste de traite sur un ancien établissement des jésuites (lac Saint-Jean), des réserves indiennes (Bosanquet), etc.
Les symboles représentés dans la légende portent sur les cantons (différents types de propriétés de la Compagnie du Canada), les relais postaux, les villages, les canaux et les délimitations (comtés, districts, frontières). Plusieurs symboles sont absents de la légende, comme les églises paroissiales (croix), le relief des montagnes (lignes hachurées), les cours d’eau et les lacs (lignes noires, lignes horizontales), les canaux (ligne épaisse bordée de lignes minces), les récifs (plus), les routes (double ligne) et les garnisons (carrés).
La remarque inscrite sous les échelles graphiques a trait aux frontières séparant les colonies britanniques de la République des États-Unis d’Amérique (couleur rouge). D’une façon spécifique, entre le point A (jonction Bas-Canada, Nouveau-Brunswick et Maine) et le point B (jonction Bellechasse, Beauce et Maine), le tracé de la frontière correspond aux crêtes du bassin atlantique, selon les prétentions britanniques. Par ailleurs, le tracé de la frontière revendiquée par les États-Unis d’Amérique est constitué d’une ligne pointillée en jaune.
L’île Saint-Paul est minuscule. Figurant sur le carton des provinces atlantiques, elle est située entre le Cap Ray (Terre-Neuve) et le Cap Nord (Nouvelle-Écosse). Malgré sa petitesse, elle est illustrée sur la carte principale. C’est d’ailleurs la seule illustration du document cartographique. La double coupe de l’île vise à montrer l’endroit où un nouveau phare a été installé. Selon la notice indiquée sous l’illustration, la double coupe (1829) est attribuée au Colonel Bouchette. Cette image forte souligne l’importance de la navigation océanique dans le développement des colonies britanniques.
Les canaux indiqués sur la carte, aussi bien dans les deux provinces canadiennes (Lachine, Grenville, Rideau, Welland) qu’aux États-Unis d’Amérique (Grand Canal), indiquent l’importance de la navigation intérieure. Les moulins situés le long de cours d’eau manifestent l’importance des rivières pour le transport des billots de bois, par exemple dans le bassin de la rivière Outaouais. Les portages sont signalés en grand nombre, notamment dans le Haut-Canada. Les chenaux à proximité de l’île d’Orléans, ainsi que les remarques inscrites dans le lac Huron visent à favoriser une navigation sécuritaire. Un autre réseau de communication est indiqué sur la carte, celui des routes terrestres. Par exemple, outre les relais postaux entre les centres urbains, les chemins Craig, Dudswell et Kennebec favorisent le lotissement de plusieurs cantons.
Les sources documentaires sont listées à la droite de la légende: 1° Samuel Holland, William Fitz Owen, Thomas Wright, Joseph-Frédéric Vallet Des Barres, Joseph Bouchette père, Henry Wolsey Bayfield, John W. Jones; 2° observations astronomiques et relevés effectués par les commissaires chargés de donner suite au traité de Gand (1814); 3° plusieurs autorités américaines importantes.
Quels furent les documents cartographiques consultés et utilisés par Joseph Bouchette fils lors de l’élaboration de sa carte de l’Amérique du Nord britannique? Seule une étude exhaustive de ses sources et de sa carte permettrait de répondre à cette question. Toutefois, la lecture des biographies des personnages cités dans les références donnent quelques indices. Attardons-nous aux levés effectués par ces arpenteurs-cartographes avant 1831.
Samuel Holland (1728-1801) participe activement à la guerre de la Conquête. En 1764, il devient arpenteur général de la province de Québec et du district nord de l’Amérique du Nord. Il procède à l’arpentage des îles Saint-Jean (1764-1765), de la Madeleine et du Cap-Breton (1765). Holland dirige ensuite des levés effectués sur les côtes atlantiques, de la rivière Saint-Jean au fleuve Hudson. Il produit des levés dans des colonies situées au sud du 45e parallèle. Lors de la guerre d’Indépendance, il continue à servir la Grande-Bretagne. Il contribue à The Atlantic Neptune (1774-1784) publié par Des Barres. Holland dirige les travaux d’arpentage effectués dans le Haut-Canada, dans les années 1780, puis dans les Cantons-de-l’Est, dans les années 1790. Après son décès, selon le biographe F. J. Thorpe, la plupart de ses œuvres sont achetées par Henry Caldwell et Joseph Bouchette père.
William Fitz Owen (1774-1857) effectue un levé hydrographique complet du fleuve Saint-Laurent et des Grands Lacs, de mai 1815 à août 1817. Selon l’historien Paul G. Cornell, Owen a jeté les bases de l’hydrographie scientifique au Canada au cours de ces vingt-sept mois.
Selon le biographe H. T. Holman, Thomas Wright (1740-1812) effectue de nombreux levés topographiques des côtes des provinces maritimes, de 1764 à 1812.
Joseph-Frédéric Vallet Des Barres (1721-1824) contribue activement à la guerre de la Conquête. Par la suite, de 1764 à 1773, il effectue des levés détaillés du littoral des provinces maritimes et du golfe Saint-Laurent. Sa publication The Atlantic Neptune (1774-1784) servit de référence pendant plusieurs décennies, selon le biographe Robert J. Morgan.
Joseph Bouchette (1774-1841), père de Joseph Bouchette (1800-1881), dirige les levés hydrographiques du port d’York (Toronto), en 1791-1792. Il devient arpenteur général du Bas-Canada en 1804. À ce titre, il dirige des levés en Mauricie (1806), le long des rives du Saint-Laurent, de Cap-Rouge à Sillery (1809), et dans l’estuaire de la rivière Saint-Charles (1810). Il participe activement à la guerre de 1812. En 1815, il publie à Londres une carte à grande échelle du Bas-Canada. Selon les biographes Claude Boudreau (alors étudiant en géographie) et Pierre Lépine (cartothécaire), cette carte constitue la première synthèse des connaissances sur le Bas-Canada. Dans la foulée du traité de Gand (1814), Bouchette travaille avec les commissaires chargés de délimiter la frontière entre les colonies britanniques et la République des États-Unis d’Amérique. Sur la carte, son camp de 1817 au nord-ouest du Nouveau-Brunswick est indiqué. Au début des années 1820, son travail vise à préciser les limites entre les terres de la couronne et les seigneuries. De 1826 à 1829, il compile les renseignements qui lui serviront à dresser une nouvelle carte du Bas-Canada. Cette carte sera publiée à Londres, en même temps que celle de son fils, le 2 mai 1831.
Henry Wolsey Bayfield (1795-1885) travaille à des levés au lac Érié (1816-1817), au lac Huron et à la baie Georgienne (1820-1824), et au lac Supérieur (1823-1825). À partir de 1828, il se consacre pendant quatorze ans aux levés de toute la rive nord du Saint-Laurent, selon la biographe Ruth McKenzie.
Selon l’historien Joel Zemel, John W. Jones (1787-1857) effectue des relevés hydrographiques avec les vaisseaux de la marine royale britannique Dotterel (1824-1825) et Hussar (1828-1830). Halifax fut son port d’attache.
Les sources révélées par Joseph Bouchette fils concernent donc principalement le Bas-Canada, le Haut-Canada, les provinces maritimes et la partie nord-est des États-Unis d’Amérique. Les sources relatives à la carte secondaire du nord-ouest du continent américain ne sont pas indiquées.
Après avoir passé en revue les sources et les traits caractéristiques de la carte principale, soit le paysage (dont les cours d’eau et les montagnes), l’emprise politique (provinces, districts, comtés, seigneuries, cantons, paroisses), les établissements (villes, villages), et les moyens de communication (navigation, réseau routier), voyons les traits particuliers des cartes figurant dans les cartons.
Les cartons n’ont pas d’échelle. Toutefois, ils sont quadrillés par les coordonnées géographiques. Le carton des provinces atlantiques vise à montrer les positions topographiques des principaux caps à partir des observations astronomiques les plus récentes. Les récifs sont aussi indiqués. Nous retrouvons ici l’importance des communications maritimes. De fait, les toponymes abondent le long des côtes, mais ils sont pratiquement absents à l’intérieur des terres. Les bancs signalés au sud de Terre-Neuve signalent le commerce séculaire de la pêche.
Le carton des territoires britanniques occidentaux montre les ambitions territoriales de la Grande-Bretagne dans cette partie du continent américain. Au Nord, les parties inconnues sont ignorées. Ainsi, le passage du Nord-Ouest n’est pas indiqué, mais sa possibilité est signalée (ouverture au-delà de l’île Melville). La frontière continentale du territoire russe (Alaska) est bien délimitée, mais ce n’est pas le cas pour les archipels qui restent incolores. La frontière américano-britannique du 49e parallèle s’arrête aux Rocheuses, puis le territoire revendiqué par la Grande-Bretagne décent largement au sud pour rejoindre enfin le Pacifique. L’espace est peuplé d’Amérindiens, selon des toponymes révélateurs, tandis que les établissements européens se limitent à la colonie de la Rivière-Rouge, à des forts et postes de traite à l’intérieur du continent et à la baie d’Hudson. Ainsi, le commerce séculaire des fourrures est bien signalé, tout comme les réseaux hydrographiques qui le rendent possible.
Plusieurs autres aspects de ce riche document cartographique mériteraient d’être analysés. Mais, en conclusion de cet aperçu exploratoire, notons les principaux buts de cette carte: illustrer les possessions britanniques en Amérique du Nord (principalement le Bas-Canada et le Haut-Canada), les possibilités de développement (pêcheries, fourrures, bois, mines; réseaux de communications; peuplement des cantons), les rivalités territoriales entre la Grande-Bretagne et les États-Unis d’Amérique (frontières contestées), et les découvertes potentielles dans ce vaste empire américain (dont le passage du Nord-Ouest). Globalement, on pourrait attribuer à cette carte un caractère de propagande au service de l’impérialisme britannique.
Carte
1831 - Amérique du Nord britannique - To His most Excellent Majesty King William IVth, This Map of the Provinces of Lower & Upper Canada, Nova Scotia, New Brunswick, Newfoundland & Prince Edward Island with a large section fo the limited States, Compiled / from the last & most approved Astronomical observations, Authorities & recent Surveys, is with His Majesty's most gracious & special permission most humbly & gratefully dedicated by... Joseph Bouchette, Deputy Surveyor of the Province of Lower Canada ; engraved by J. & C. Walker | Auteur : Bouchette, Joseph (1774-1841). Fonction indéterminée / Auteur : Wyld, James (1812-1887). Fonction indéterminée / Auteur : J. & C. Walker (Londres). Graveur / Éditeur : James Wyld, May 2nd (London) / Date d'édition : 1831. - Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France (Date de la mise en ligne: 29 juin 2015).
Un exemplaire de cette carte peut être consulté au Centre de conservation de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), sous la cote G/3400/1831/B68 DCA. Cet exemplaire sera numérisé dans quelques mois. La version numérisée de cette carte sera alors accessible depuis la Collection numérique de cartes et plans de BAnQ.
Attribution
La carte est attribuée à Joseph Bouchette père (1774-1841) dans la notice de la Bibliothèque numérique Gallica (BnF), tandis qu’elle est attribuée à Joseph Bouchette fils (1800-1881) dans la notice du Catalogue Iris (BAnQ). L’attribution de cette carte à Joseph Bouchette fils plutôt qu’à Joseph Bouchette père peut être déduite des indications suivantes contenues
1° dans le cartouche de titre: Joseph Bouchette jun. Deputy Surveyor General of the province of Lower Canada (Joseph Bouchette junior, arpenteur général adjoint de la province du Bas-Canada);
2° dans la liste des sources documentaires: Lieut Col Bouchette S.G.L.C. (Lieutenant-Colonel Bouchette, Surveyor General of Lower Canada, arpenteur général du Bas-Canada).
L’étude exhaustive de la genèse de cette carte pourrait éventuellement permettre de découvrir la part effective de l’un et l’autre de ces cartographes dans la réalisation de cette carte générale de l’Amérique du Nord britannique.
[Ajout, 04 10 2015] - [Les sites américains David Rumsey Map Collection et Dorothy Sloan-Rare Books affichent chacun un exemplaire de la première édition (1831) de la carte de Joseph Bouchette fils. Le premier site fait état des réimpressions de la carte en 1846 (en plus grand format, avec des ajouts), en 1852 et 1853. Le second site aborde la problématique de l’attribution de la carte en citant notamment un extrait du livre de Joseph Bouchette père intitulé The British Dominions in North America (Preface, p. xiii-xiv).]
Références
Boudreau, Claude. - La cartographie au Québec, 1760-1840. - Québec: PUL, 1994. - xii, 270 p. - ISBN 2-7637-7350-8. - Bibliothèques de Montréal et BAnQ: 526.09714 B756ca 1994. - [Voir en particulier les pages 75-78, 123-175, 196-211 et 259]. - [Extraits].
Biographies affichées dans le Dictionnaire biographique du Canada (dates de rédaction): Samuel Holland (1983), William Fitz Owen (1985), Thomas Wright(1983), Joseph-Frédéric Vallet Des Barres (1987), Joseph Bouchette père (1988) et Henry Wolsey Bayfield (1982). Biographie de Joseph Bouchette fils (Ministère de la Culture et des Communications, Gouvernement du Québec, 2013). Biographie de John W. Jones (Joel Zemel, 2015).
Articles connexes
La carte de 1831 de Bouchette (Mémoires, Robert-Shore-Milnes Bouchette)
Cartographes de l’Empire britannique (Holland et Des Barres)
La carte fluviale de Bayfield
#
Livre numérique gratuit
L'Atlas du Québec compte trois parties. La première contient un répertoire de cartes et plans relatifs au Québec couvrant cinq siècles. La deuxième est un guide d’interprétation d’anciennes cartes géographiques selon trois étapes: observation globale de la carte, analyse de ses éléments et élaboration d’une synthèse. La troisième présente quelques descriptions de cartes exemplaires.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire