L’Art de l’enquête criminelle
Les fraudeurs le moindrement intelligents qui apprennent qu’ils sont visés par une enquête tenteront de la déjouer par des falsifications, dissimulations et manœuvres dilatoires.
Ce constat formulé par Maurice Cusson et Guillaume Louis est bien connu par la population, car il a été mis en lumière à maintes reprises depuis plusieurs décennies. Il préoccupe au plus haut point les gens soucieux de sécurité, d’équité et de justice.
Le livre des deux professeurs de l’Université de Montréal compte trois parties: Science et temps (6 chapitres), Séries et stratégies (5 chapitres), Droit, justice et juste milieu (1 chapitre). Les parties préliminaires sont constituées par l’avant-propos, l’introduction et les remerciements des auteurs. L’ouvrage est complété par une bibliographie de onze pages en petits caractères.
Science et temps
Le chapitre initial est consacré à l’enquête éclair se déroulant au cours des 24 heures suivant la perpétration d’un crime. L’importance de cette phase préliminaire de l’enquête est primordiale, étant donné que l’enquête est soumise à la dictature du facteur temps. Après une rétrospective sur le fonctionnement quotidien des services d’enquête américains entre 1950 et 1980, les auteurs traitent des nouvelles avancées technico-scientifiques, dont les traces numériques, les bases de données informatisées et le système d’urgence unique 911. Le contre-exemple de l’affaire Norbourg est détaillé à la fin du chapitre.
Le chapitre 2 porte sur les enquêtes complémentaires, beaucoup plus longues et difficiles. Comme il n’y a qu’un très faible pourcentage d’enquêtes menant à une comparution, un tri s’impose entre les cas résolus, résolubles et insolubles. Ceux-ci étant majoritaires, les enquêteurs vont concentrer leur temps sur certains cas majeurs susceptibles d’être résolus. Dans ce contexte, un filtrage systématique est utilisé en fonction des quatre types de criminels (opportuniste, routinier, grand fraudeur, dangereux violent) et des facteurs de gravité, de sérialité et d’élucidation du crime. La description de sept cas de figure complète ce chapitre.
La méthode scientifique appliquée à l’enquête criminelle est abordée au chapitre 3. Les auteurs distinguent les causes matérielles du crime (appréhendées par la criminalistique) et les raisons et passions du criminel (appréhendées par la criminologie). Ils décrivent ensuite les douze postulats devant guider une enquête criminelle. Par exemple, l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien d’Istanbul illustre le septième postulat relatif aux images.
Le chapitre 4 traite des moyens utilisés par les enquêteurs et analystes pour recueillir des leurs informations et obtenir des données. Chacun de ces moyens fait l’objet de longues explications, exemples à l’appui: écouter et questionner; observer; consulter les bases de données policières et civiles; espionner. L’analyse des traces d’ADN, l’exploitation des bases de données et des mégadonnées numériques sont particulièrement détaillées.
Le chapitre 5 porte sur l’interrogatoire du criminel et ses modalités de déroulement. Les auteurs détaillent et caractérisent deux types d’interrogatoires, l’une coercitive et l’autre cognitive. La première est généralisée aux États-Unis d’Amérique et en France, mais très rare au Canada. La seconde est plus efficace pour obtenir l’aveu du crime si elle est menée dans les règles de l’art. Enfin, une entrevue peut donner lieu à une entente donnant-donnant.
Le chapitre 6 énumère et souligne l’importance de la typologie indicative de délits, crimes et problèmes criminels en vue de formuler des hypothèses pertinentes. Par ailleurs, la collaboration entre l’enquêteur et l’analyste est mise en relief dans le contexte des informations massives contenues dans les bases de données et les mégadonnées numériques. Un encadré de quelques pages complète la partie initiale du volume: La police scientifique de R.A. Reiss opérait la synthèse entre la criminologie et la criminalistique. Pionnier de la police scientifique en Suisse, Rodolphe Archibald Reiss (1875-1929) est souvent cité dans le livre.
Séries et stratégies
Les premiers chapitres de cette deuxième partie portent sur la description de différents types de crimes en série et les modalités d’enquête propices à les résoudre: les vols dans les entreprises et les organisations (chapitre 7), les introductions par effraction en série (chapitre 8), les infractions sexuelles (chapitre 9). De nombreux cas font l’objet de descriptions détaillées, tant pour les perpétrations de ces crimes que pour les enquêtes menant à l’arrestation des criminels.
Le chapitre 10 envisage et décrit l’enquête comme une démarche relevant de la stratégie, celle-ci visant d’abord et avant tout la sécurité. Dans ce contexte, neuf paradoxes classiques sont démontrés. Un passage crucial mérite d’être cité: «[…] la sévérité, notamment une longue peine de prison ou la peine de mort, ne dissuade pas. […] C’est plutôt la certitude de la peine – plus précisément, la probabilité élevée d’être puni – qui produit un effet intimidant. Et, pour cela, une peine modérée suffit.» Les auteurs concluent ce chapitre en listant les choix stratégiques de l’enquêteur.
Dans le chapitre suivant, les auteurs évaluent l’impact de l’enquête en fonction de la réduction du taux de criminalité. L’impact est d’autant plus marqué qu’il porte sur les crimes les plus graves, dont les hominines et les crimes en série. Ce chapitre présente aussi les statistiques portant sur l’évolution des crimes commis au Québec de 1962 à 2017.
Droit, justice et juste milieu
Le chapitre conclusif est présenté sous la forme d’un dialogue entre les penseurs Socrate et Protagoras. Certes un dialogue didactique, mais tout de même un dialogue anachronique (comme le soulignent les auteurs) puisque la conversation porte sur le rôle de l’avocat et le droit à l’enquête au 21e siècle.
Appréciation
Le livre sera sûrement utile aux étudiants visant une carrière dans un corps policier, aux policiers, enquêteurs et analystes œuvrant dans un service de police, ainsi qu’aux responsables de la sécurité travaillant dans une entreprise privée. Ces personnes pourront parfaire leur formation et approfondir leurs connaissances en se référant aux ressources de la bibliographie.
En parcourant ce livre, le grand public comprendra mieux le travail de l’enquêteur criminel et le contexte dans lequel il travaille. À cet égard, citons deux passages:
Les fins limiers comme Sherlock Holmes qui réussissent à tous les coups n’existent que dans les romans. […] Dans le monde réel, l’enquêteur se heurte quotidiennement à l’impossibilité de découvrir le coupable ou de prouver sa culpabilité.
Si nous convenons que 5% des jeunes gens membres d’une génération sont responsables de 50% de la délinquance et de pourcentages encore plus élevés de crimes graves, la mise hors jeu d’un bon nombre de gens appartenant à cette minorité de 5% grâce aux enquêtes peut produire des effets dissuasifs et neutralisants non négligeables.
Référence
Cusson, Maurice; Louis, Guillaume. - L’Art de l’enquête criminelle. À la recherche de la vérité, de la sécurité et de la justice. - Québec: Septentrion, 2019. - 220p. - ISBN 978-2-89791-111-9. - [Citations: p. 30-31, 20, 43, 180]. - Bibliothèques de Montréal et BAnQ: 363.25 C986a 2019.
Sur le site des Éditions du Septentrion, ce livre est proposé aux formats papier, PDF et ePub.
Image
Un médecin légiste utilise un écouvillon pour récupérer une preuve d’ADN (Daekow, Wikipédia, 9 mai 2014, sous licence CC BY SA).
Les auteurs traitent de la découverte et de l’utilisation de l’ADN dans deux longs passages, car il joue un rôle majeur dans l’enquête criminelle. Voir: p. 40-41 et 68-71.
Sur la Toile
École de criminologie (Université de Montréal)
École nationale de police du Québec (ENPQ)
Éditions du Septentrion
Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML)
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