12 avril 2015

Exploration de la Sibérie

C’est par les Russes et les étrangers entrés au service de la Russie que la Sibérie va pouvoir prendre forme sur les cartes et dans l’histoire consciente du monde.

L’exploration de la Sibérie par Antoine Garcia et Yves Gauthier se lit comme un roman. La structure du récit est à la fois chronologique et biographique. Les extraits de documents de première source sont nombreux et captivants.

L’introduction couvre la préhistoire et l’histoire primitive du territoire, alors que les quatre parties suivantes portent respectivement sur les 17e, 18e, 19e et 20e siècles. Les différents chapitres sont centrés sur un héros et quelques personnalités secondaires. Ce procédé littéraire rend captivante la lecture du récit.

Les cartes historiques sont nombreuses et permettent de bien situer les péripéties de l’exploration de la Sibérie, depuis les origines jusqu’à nos jours. Ainsi la première carte présente les réseaux hydrographiques et le relief, alors que la deuxième localise les peuples à la veille de la conquête russe. Comme les autres cartes, celles-ci sont présentées sur une double page.

L’introduction raconte d’abord l’histoire du peuplement de la Sibérie, puis indique l’étymologie du nom attribué à cet immense territoire. La description des peuples sibériens suit ces renseignements préliminaires, du nord-est à l’Oural: les tributs paléosibériennes des Youkaguirs, Tchouktches, Koriaks et Itelmènes; les Toungouses éventks et évens (Lamoutes), Guiliaks; les Bouriates, Touvas, Daours, Yakoutes (le peuple le plus nombreux); les Kirghizes, Khakasses, Chors, Oïrats, Tatars; la famille ouralienne des Samoyèdes, Nénets, Enets, Nganassanes, Selkoups; le groupe finno-ougrien des Khantys, Mansis. Les premières incursions russes au-delà de l’Oural, de 1136 à 1563, sont racontées à la fin de l’introduction.


La première partie couvre le 17e siècle: Le temps des cosaques. C’est fascinant de découvrir toutes les péripéties des cosaques parcourant et exploitant toute la Sibérie, de l’Oural à l’océan Pacifique. C’est l’occasion de découvrir les héros Ermak (vers 1540-1585) et Khabarov (vers 1610-1671), les mœurs de l’époque, les échanges pacifiques et les conflits armés entre les Russes et les autochtones, les embarcations strong et kotch construites et utilisées par les explorateurs, le commerce des fourrures, les obstacles physiques (hiver, cours d’eau et montagnes), les rivalités interpersonnelles et politiques. Tout lecteur nord-américain saura comparer cette fresque historique à celle de son continent. Avant de lire cette partie, le lecteur pourra consulter la troisième carte, celle des pionniers (1620-1699): les itinéraires de Penda, Moskvitine, Dejnev, Poyarkov et Atlassov.


La deuxième partie porte sur L’exploration extensive de la Sibérie au cours du 18e siècle. Elle est divisée en trois sections, la première dédiée aux initiatives de Pierre le Grand (1682-1725), la deuxième portant sur la Grande Expédition, et la troisième sur des missions académiques. Plusieurs cartes historiques permettent au lecteur de suivre ces diverses explorations.

La population russe en Sibérie est alors d’environ 250 000 personnes, alors que les autochtones sont au nombre d’environ 100 000. Les auteurs s’attardent aux œuvres cartographiques (1687-1730) de Witsen, Rémézov et Strahlenberg, à l’expédition scientifique de Messerschmidt, à plusieurs missions secrètes, dont celles de Loujine et Évréinov (1719-1722), la première expédition de Béring (1728-1730), et celle de la découverte du détroit séparant l’Asie de l’Amérique par Gvovdez et Fédorov (1732-1733). Deux cartes historiques accompagnent l’exposé de ces expéditions.

La deuxième section raconte la deuxième expédition de Béring (1733), un récit illustré par deux cartes (1735-1742): les détachements nordiques; la marche des savants Müller, Gmelin et Krachéninnikov. Les péripéties enlevantes et dramatiques de ces explorations sont racontées avec moult détails: «Jamais, de mémoire d’homme, une expédition géographique aussi importante, par son ampleur comme par ses objectifs, n’avait été organisée.»

La dernière section rapporte avec beaucoup de détails, notamment sur les mœurs des autochtones, les missions académiques consécutives à la Grande Expédition. L’exposé est accompagné de plusieurs cartes historiques: Pallas (1770-1773) et Zouyev (1771-1772), Falk (1768-1774), Georgi (1770-1774), et les explorations de la péninsule des Tchouktches par Kobélev (1779, 1789-1791) et Billings (1791).

La troisième partie du livre, L’exploration intensive, porte sur le 19e siècle. Elle est également divisée en trois sections. La première est dédiée aux exilés: une récapitulation remontant aux premiers déportés (1593), les révolutionnaires surnommés décembristes (1826-1828), les prisonniers polonais (1831-1835). Les auteurs s’attardent aux riches travaux intellectuels accomplis en Sibérie par les bagnards Bestoujev, Batenkov et Borissov. La deuxième section a trait à la recherche du fantôme continent arctique par des étrangers (Gedenström, Sannikov, Anjou, Wrangel), et la grande expédition de Middendorf au Taïmyr et en Sibérie orientale. La troisième section porte sur la Société géographique de Russie (RGO) fondée en 1845, la déportation d’insurgés polonais (1863), les études orographiques de Czerski, les travaux ethnographiques de Sieroszewski et sa publication des Yakoutes (1896), la vie tumultueuse de Kropotkine, l’accélération de la poussée migratoire (abolition du servage, en 1861, et construction du Transsibérien, 1892-1917). Cette partie contient deux cartes historiques.

La quatrième partie du livre, De l’exploration à l’exploit, est divisée en trois sections: Des explorateurs écrivains, Le retour aux origines, L’exploit au secret. De nombreux extraits fabuleux émaillent les récits des investigations menées par des écrivains aventureux et déterminés, dont Obroutchev (géologie), Arséniev (ethnographie), Okladnikov (archéologie). Puis les exploits individuels de Travine (périple complet de l’URSS en bicyclette) et de Choumitski (randonnée pédestre du Pacifique à la mer Baltique). Enfin, l’expédition cap Dejnev-Mourmansk de 1983. L’itinéraire parcouru par Gleb Travine, en 1928-1931, est tracé sur une carte.

L’épilogue porte sur le péril écologique, le désastre culturel et le courant nationaliste. Le mot de la fin: «[…] la Sibérie apparaît aujourd’hui, malgré ses souillures, un des rares lieux du globe où l’aventure est encore possible. La Sibérie n’est certainement plus à inventer, mais peut-être reste-t-il à la redécouvrir.»

L’ouvrage est complété par des notes, des index des noms (géographiques, peuples et personnes), une bibliographie (ouvrages généraux, des origines au 18e siècle, 19e et 20e siècle), une tables des cartes et une table des matières détaillée.

Que de découvertes! Que d’informations! Que d’aventures! Un livre d’une grande richesse documentaire écrit dans un style palpitant.

Référence

Garcia, Antoine; Gauthier, Yves. - L’exploration de la Sibérie. - Paris: Transboréal, 2014. - 555p. - ISBN 978-2-361-57070-5. - [Citations, p. 33, 220, 517]. - BAnQ: 915.704 G2161e 2014. - [Le livre contient 14 cartes historiques. L’édition initiale publiée chez Actes Sud contient également des documents de première source, dont d’anciennes cartes géographiques: BAnQ: 915.704 G276ex 1996].

Lecture complémentaire

Hayes, Derek. - Historical Atlas of the Arctic. - Vancouver: Douglas & McIntyre, 2003. - 208p. - ISBN 0-295-98358-2. - BAnQ: 911.98 H4174h 2003. - [Anciennes cartes géographiques sur l’Arctique russe, p. 34-43, 112-123, 168-169].

Cartes

1562 - Russiae, Moscoviae et Tartariae descriptio ([Reprod. en fac-sim.]) / auctore Antonio Ienkensono Anglo / Cartographe Anthony Jenkinson (1529-1611) - Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France - [Carte évoquée à la page 33]

1730 (1750) - Nova Descriptio Geographica Tattariae Magnae tam orientalis quam occidentalis in particularibus et generalibus territoriis una cum delineatione totius Imperii Russici imprimis Siberiae accurate ostensa / P.I. v. Strahlenberg ; P.J. Frisch sculpsit / Phillip Johann von Strahlenberg, cartographe (1676-1747), J. A. Matern, auteur du texte, P. J. Frisch, graveur. - Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France - [Carte évoquée à la page 181, 184-185]

La Bibliothèque numérique Gallica / Bibliothèque nationale de France (BnF) compte plusieurs autres documents cartographiques sur la Russie, la Sibérie et l’Empire russe. Les deux livres numériques présentés ci-dessous contiennent un grand nombre de liens pointant vers ces cartes et plans.

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