Les chrétiens d’Allah
Bartolomé et Lucile Bennassar présentent l’histoire des renégats aux 16e et 17e siècles dans leur ouvrage intitulé Les chrétiens d’Allah.
L’introduction est articulée autour de trois thèmes : un aperçu historiographique sur les renégats, le débat entre l’histoire sérielle et l’étude de cas, le plan du livre.
Un chapitre liminaire est consacré aux sources et au contexte géohistorique. Les sources documentaires sont exclusivement occidentales et, pour l’essentiel, de nature judiciaire. Des chroniques et relations de contemporains sont aussi utilisées, dont celles de Vincent Le Blanc, Emmanuel d’Aranda, Diego de Haedo et François Dan.
Le chapitre contient une carte sur l’État des forces chrétiennes et musulmanes en Méditerranée à la fin du XVIe siècle. Elle montre notamment les espaces dominés par les superpuissances ottomane et espagnol, fruit de la rivalité séculaires entre les musulmans et les chrétiens. Deux exemples sont cités pour illustrer des alliances croisées entre ces entités rivales.
Le livre compte trois parties : la présentation de six renégats, l’analyse d’un corpus de 1 550 individus et l’interprétation de l’histoire des renégats.
Partie I – Biographies
Les études de cas sont précédées d’une introduction justifiant la mode des biographies, non pas celles de personnages connus, mais plutôt celles d’inconnus tels les six cas retenus.
Cas n° 1 - Juan Rodelgas | Jeune cultivateur originaire de Villacañas (Manche), engagé volontaire, capturé en mer, détenu en esclavage pendant plusieurs années près d’Alger, évadé pendant une course lors d’un accostage aux Canaries, interrogé puis absout par le tribunal d’inquisition de Las Palmas. Après le récit de la vie de ce renégat, les historiens Bennassar présentent le contexte particulier de l’époque (v.1610-1623) et la personnalité singulière de Rodelgas. Ce cas illustre une abjuration de la foi chrétienne, sollicitée mais feinte, par un esclave désirant s’enfuir et revenir dans son pays natal.
Cas n° 3 - Guillaume Bedos | Ce jeune orphelin, dépouillé de son héritage par son frère ainé, tente sa chance en mer. Capturé, il se converti à l’Islam dont il devient un croyant convaincu. Devenu un corsaire de renom, il est capturé et conduit devant le tribunal de l’inquisition à Palerme. Prisonnier et interrogé par les inquisiteurs pendant plusieurs années, il abjure finalement sa foi musulmane pour éviter d’être exécuté. Les auteurs passent ses témoignages au crible et présentent un tableau sur les 28 témoins appelés au procès.
Partie II – Base de données
Les auteurs ont identifié dans les des archives judicaires occidentales 1 550 renégats ayant vécus au cours de la période 1550-1700. Dans cet échantillon, la répartition des renégats selon leurs régions d’origine est conséquente du contexte géographique, économique et militaire. Ainsi, les Ibériques et les Italiens en constituent le gros effectif. Une éventuelle consultation ultérieure des archives ottomanes pourra modifier cette répartition et entrainer de nouveaux résultats.
Les captures ont lieu principalement dans le complexe de Gibraltar, le complexe sicilien et l’Atlantique. Les produits les plus recherchés sont le blé, les morues, le sel, les étoffes, le bois et le fer. Les navires impliqués sont de diverses catégories, parfois regroupés en grand nombre. Les équipages sont constitués d’une variété de musulmans, chrétiens, renégats et esclaves.
Les auteurs s’attardent ensuite sur quelques catégories de renégats, dont celui des enfants et des femmes. Ils racontent des prises de guerre effectuées lors des imposants raids de 1586 et 1618 sur Lanzarote, ainsi que sur d’autres îles. Ils détaillent le sort des soldats faits prisonniers ou déserteurs. De nombreuses batailles sont citées en exemples telles celles menées par les frères Barberousse (1516 et 1519) et Carles Quint (1541).
Partie III – Essai d’interprétation
Le préambule précise les limites de la synthèse sur l’histoire des renégats : un corpus de seulement 1 550 individus sur un total de quelque 200 000 à 300 000 renégats, et la défaillance des sources. Il pose aussi la question des termes de l’échange, aussi bien entre les deux communautés que pour les personnes directement concernées.
Au cours de plusieurs chapitres, les auteurs racontent la vie d’un grand nombre de renégats, notamment en fonction de la perception du monde islamique chez les chrétiens. Les conditions de travail des galériens, la puissance des raïs, la situation singulière du Maroc, l’intégration par le mariage et l’hétérogénéité des retours sont aussi des thèmes largement explorés.
Compléments
Le livre est complété par une conclusion, une liste de renégats français (1560-1665), une chronologie (1453-1699), une bibliographie (documents d’archives et sources imprimées), un lexique et une table des matières. Par ailleurs, les auteurs dédient leur ouvrage au célèbre historien Fernand Braudel dont ils évoquent la thèse, à savoir « la dérive à l’ouest des grands intérêts politiques et économiques. »
Voici la liste des cartes (information non indiquée dans la table des matières) :
- État des forces chrétiennes et musulmanes en Méditerranée à la fin du XVIe siècle (p. 16-17)
- Origine des renégats français (p. 196)
- Lieux de séjour et de passage des renégats européens en Afrique du Nord (p. 413-414)
Istanbul, la capitale de l’empire ottoman, est considérée comme une ville européenne. (p. 411)
Dans la conclusion, les auteurs racontent l’histoire enchevêtrée et complexe de cinq renégats prisonniers à Palma de Majorque en 1689 : « Le lazaret de Majorque est l’image symbolique du destin d’un grand nombre de renégats, quelles que soient les différences entre les individus. »
Ils complètent ce récit exemplaire en évoquant les nombreux cas d’intégration réussie de renégats, tant chrétiens que musulmans, dans leur nouvelle patrie ou de leur réinsertion harmonieuse dans leur société d’origine après leur retour de captivité.
Les historiens concluent ainsi leur ouvrage : « Qu’ils l’aient voulu ou non, les renégats ont joué le rôle d’intermédiaire entre deux civilisations, entre deux cultures, qui se détestaient beaucoup moins qu’on ne l’a dit ou qu’on le croit. »
Référence
Bennassar, Bartolomé; Bennassar, Lucile. – Les chrétiens d’Allah : l'histoire extraordinaire des renégats, XVIe et XVIIe siècles. – Paris : Perrin, 2001. – 488p. – (Pour l’histoire). – ISBN 2-2620-1776-X. – Cote BAnQ : 297.574 B469c 2001. – [Classification].
Édition consultée :
Bennassar, Bartolomé; Bennassar, Lucile. – Les chrétiens d’Allah : l'histoire extraordinaire des renégats, XVIe et XVIIe siècles. – Édition revue et augmentée. – Paris : Perrin, 2006 © 1989. – 595p. – (Tempus, n° 115). – ISBN 978-2-262-02422-2. – [Citations, p. 183, 563 et 566].
Sur la Toile
Bienvenue en Algérie ancienne (Alain Spenatto)
Sur ce site, trois ouvrages de Diego de Haedo, publiés en 1612, sont offerts au format pdf : Topographie et histoire générale de l’Algérie, Histoire des rois d’Alger, et De la captivité à Alger.
Article connexe
Description de l’Afrique (1526)
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