Depuis de nombreuses années, voire quelques siècles, une minorité religieuse du Moyen-Orient focalise bon nombre de fantasmes, suscite les interprétations les plus contradictoires et les plus discutées, mais aussi les extravagantes. Il s’agit de la « secte des Assassins » dont le siège fut établi à Alamût en Perse (Iran).
L’historien français
Yves Bomati présente une réinterprétation de l’histoire de l’Ordre des Assassins. Son livre, sous-titré
Les dessous d’une politique de la terreur, compte une introduction, dix chapitres regroupés sous trois parties, une conclusion et plusieurs compléments. La Table des matières est insérée à la fin du livre.
S’agissant d’une étude historique, la lecture préalable de la conclusion et des compléments peut favoriser une meilleure compréhension de l’étude (86 pages) : Notes, Glossaire, Chronologies des grandes puissances au Moyen-Orient (10e-13e siècle), Chronologie générale, Bibliographie sélective (sources premières et secondaires), Index des noms, Index des lieux, Cartes. Celles-ci sont insérées respectivement au début de chaque partie :
Le Moyen-Orient, 7e-12e siècle;
Villes principales et forteresses autour d’Alamût en Iran et en Syrie, 11e-13e siècle;
Les États latins d’Orient et leurs voisins au 12e siècle.
Introduction
L’auteur fait le point sur la réputation péjorative de la « communauté ismaélienne nizârite ». Il évoque ensuite les sources documentaires et souligne le contexte historique des grands bouleversements au Moyen-Orient : les incendies des bibliothèques ismaéliennes par les Mongols; les empires musulmans successifs, les conquêtes mongoles, les Croisades européennes; les querelles religieuses au sein du monde islamique. Enfin, il précise son double objectif : rouvrir le débat pour en finir avec les affabulations séculaires sur les ismaéliens nizârites; réfléchir sur l’adaptation de l’Islam orthodoxe à la modernité.
Partie I – De la légende à la réalité
Dans le chapitre initial, l’auteur fait le point sur la légende noire des Assassins, en particulier sur
Le livre des merveilles de Marco Polo qui en est en quelque sorte l’origine. Plusieurs pages sont ainsi consacrées à l’historiographie pour dégager la réalité de la légende.
Le deuxième chapitre est consacré au contexte historique et religieux en Iran après le traumatisme de l’invasion arabe (651). Notons quelques faits saillants de ces siècles tourmentés. L’assassinat d’Ali en 661 et le débat sur sa succession provoquent un schisme en terre d’Islam : les chiites se séparent des sunnites et se réfugient en Iran. Un nouveau débat sur la succession de l’Iman, successeur du Prophète, surgit chez les chiites. Une minorité de ceux-ci, désignés sous le nom d’ismaéliens, entrèrent dès lors dans la clandestinité. Après moult péripéties, un califat ismaélien chiite est fondé en Afrique du Nord au début du 10e siècle. Son influence rayonna jusqu’en Afghanistan et en Inde. Mais cet empire allait devoir affronter rapidement les Turcs seldjoukides, nouvellement convertis à l’Islam sunnite.
Le troisième chapitre porte sur Hasan Sabbah, figure montante des ismaéliens nizârites. L’auteur fait le portrait du jeune perse, en notant ses talents et sa brillante formation intellectuelle. Né en 1052 dans une famille chiite duodécimaine de Qom, il se convertit à l’ismaélisme à l’âge de 17 ans. En 1078, il se rend en Égypte pour parfaire son initiation. Son activisme pour la légitimité du pouvoir politique et un retour à l’orthodoxie ismaélienne lui valent le bannissement en 1080. De retour en Iran, il consolide ses relations, soutient l’opposition à l’occupation étrangère turque et répand son interprétation du Coran. En 1090, il prend le contrôle du fort d’Alamût.
Partie II – Hasan Sabbah (1090-1124), le Grand Maître des Assassins
Le quatrième chapitre explique les avantages stratégiques et l’importance du site d’Alamût acquis par Hasan Sabbah en 1090. La montée en puissance du jeune Maître est ensuite relatée dans le contexte du déclin des Abbassides et de la lutte contre les Turcs seldjoukides. La guerre de succession survenue en Égypte entraîne un nouveau schisme dans la communauté ismaélienne. Hasan Sabbah rompt avec les Fatimides égyptiens et fonde l’ismaélisme nizârite en 1097.
Le cinquième chapitre débute par une longue explication de la « Nouvelle Prédication » de l’ismaélisme nizârite. L’initiation à cette doctrine, gardée largement secrète jusqu’à nos jours, fait l’objet de longues présomptions. Hasan Sabbah apporte des évolutions et éclaircissements à la doctrine qui lui assure sa légitimité et son immense pourvoir sur la communauté, sans qu’il prétendre au titre d’iman. Les parties suivantes illustrent son emprise : « À l’évidence, Hasan, exerçant un ascendant quasi hypnotique sur sa communauté, régna sans doute par son charisme, ses qualités intellectuelles et son ascétisme, mais aussi par son idéologie de combat appuyé par la terreur. » Les assassinats ciblés, en majorité contre des dirigeants arabes et turcs, en témoignent. Le chapitre est complété par un exposé sur l’efficace réseau de communication de Sabbah et ses nombreuses forteresses, notamment celles de Syrie où les Croisés commençaient à s’installer.
Le bref sixième chapitre porte sur l’héritage d’Hasan Sabbah décédé le 12 juin 1124. L’auteur trace son portrait, établit le bilan de ses réalisations et souligne sa réputation pérenne.
Partie III – Les héritiers de Hasan Sabbah (1124-1221) et la Grande Résurrection
Le s deux successeurs d’Hasan Sabbah font l’objet du septième chapitre : Kiyâ Buzurg-Ummîd (1124-1138) et son fils Muhammad d. Buzurg-Ummîd (1138-1162). Ceux-ci poursuivent la politique du fondateur de l’ismaélisme d’Alamût, combattent les Abbassides et les Seldjoukides (plusieurs guerres et assassinats politiques), composent occasionnellement avec Croisées et entendent leur empire.
Le chapitre huit est consacré à Hasan ibd Muhammad d. Buzurg-Ummîd, dit Hasan II (1126-1166) qui, niant être le fils de Muhammad d. Buzurg-Ummîd et affirmant une ascendance fatimide, se proclame calife et iman le 8 août 1164, lors de la proclamation de la Grande Résurrection. L’auteur présente les conséquences de cette révolution politique et religieuse. Son fils, Nur-al-Dîn Muhammad II b. Hasan, assume la succession jusqu’à sa mort en 1210. Son fils Jalâl al-Dîn Hasan III lui succède jusqu’en 1221.
Le chapitre neuf porte sur Râshid al-Dîn Sinân (1126/1135-1193) et son ascendance en Syrie. L’auteur raconte les nombreuses péripéties et les nombreuses meurtrières entre les puissances de l’époque, y compris la prise du pouvoir en Égypte par Saladin, fondateur de la dynastie des Ayyoubides en 1171. Les combats et tactiques de la terreur de Sînan contre les Seldjoukides et Saladin sont relatés, renforçant la réputation péjorative des Assassins pour la suite des temps. Face aux chrétiens, l’affaire Conrad de Montferrat, dans le contexte des États latins, est longuement abordée (plus de sept pages).
Le chapitre 10 porte sur les derniers imans nizârites et la destruction d’Alamût par les Mongols, en 1256. L’auteur brosse un tableau de la situation internationale après la mort de Sinân et de Saladin. Dans ce contexte, Jalal-al-Dîn Hasan III succède à son père comme sixième seigneur d’Alamût. Il rompt avec l’ismaélisme de l’Ordre des assassins et établit des relations pacifiques avec les sunnites et les Abbassides, puis tenta d’amadouer les Mongols. Son successeur ‘Alâ al-Dîn Muhammad III (1221-1255) poursuivit cette politique et Alamût devient un brillant foyer intellectuel accueillant Abbassides et sunnites. L’auteur s’attarde ensuite à la croisade du roi Louis IX. Le huitième et dernier iman d’Alamût, Rukn al-Dîn Kurshâh (1255-1257), après une résistance infructueuse, se rend aux conquérants mongols qui détruisent la forteresse et brûlent la riche bibliothèque d’Alamût.
Conclusion
Après avoir formulé une rétrospective de l’ismaélisme à l’époque du Moyen-Âge, l’auteur s’attarde à de longues considérations et spéculations sur l’Islam et ses orientations actuelles. À ce titre, son ouvrage s’avère plus idéologique qu’historique.
Référence
Bomati, Yves. – Les Assassins d’Alamût. Les dessous d’une politique de la terreur. – Paris : Armand Collin, 2024. – 285 p. – ISBN 978-2-2006-3742-2. – [Citations : p. 9, 91]. – BAnQ : 956.014 B695a 2024.
Image
Basawan (v. 1560-1600), designer; Nanda Gwaliori, coloriste. – Forteresse des Assassins d’Alamut. Miniature persane, vers 1596. – Page d’un manuscrit Chinghiz-nama : Hulagu Khan détruit le fort d’Alamut (titre principal). –
Wikipédia.
Cette œuvre est reproduite, en partie, sur la page de couverture du livre
Les Assassins d’Alamût.
Encyclopédies
Hasan Sabbah (Encyclopaedia Iranica) – Farhad Daftary, “ḤASAN ṢABBĀḤ,” Encyclopaedia Iranica, XII/1, pp. 34-37, 2012.
BAnQ offre à ses abonnés la consultation en ligne de plusieurs encyclopédies sur l’Islam, en anglais, dont celles-ci :
Encyclopedia of Islam and the Muslim world / Martin, Richard C. éditeur intellectuel / Second edition / Farmington Hills, MI : Gale, Cengage Learning, 2016.
The Oxford encyclopedia of Islam and politics / edited by Emad El-Din Shahin / [Oxford] : Oxford University Press, 2014.
The Oxford encyclopedia of philosophy, science and technology in Islam / Ibrahim Kalin, editor in chief / Oxford : Oxford University Press, 2014.
The Princeton encyclopedia of Islamic political thought / Böwering, Gerhard, 1939- éditeur intellectuel, Crone, Patricia, 1945-2015 éditeur intellectuel, Mirza, Mahan éditeur intellectuel, Gale Group / Princeton, N.J. : Princeton University Press, c2013.
et cette encyclopédie imprimée, en français :
Encyclopédie de l’Islam / Nouv. éd. / établie avec le concours des principaux orientalistes par un comité de rédaction composé de B. Lewis, Ch. Pellat et J. Schacht...; sous le patronage de l’Union académique internationale / Paris : G.P. Maisonneuve, 1960-
Outre ces encyclopédies, la Grande Bibliothèque contient plusieurs monographies sur les Assassin et plus encore sur l’Islam et les musulmans.
Articles connexes
Traduction et étude du Coran
Nous n’avons jamais lu le Coran
L’Iran : des Perses à nos jours
Le crédo des Assassins
Histoire du Coran