À la rencontre des romans français
Christophe Hardy nous propose un voyage culturel aussi plaisant qu’instructif dans son livre consacré à la littérature française.
L’auteur présente vingt-quatre textes, du Moyen Âge à nos jours, d’auteurs célèbres (presque tous masculins), dont Chrétien de Troyes, Béroul, Rabelais, La Fontaine, Madame de La Fayette, Montesquieu, Voltaire, Laclos, Stendhal, Balzac Dumas, Flaubert, Hugo, Gautier, Verne, Zola, Proust, Céline, Camus, Giono et Cracq.
Exemple
La lecture des recensions est captivante. La mise en page est didactique. Voyons un exemple: La Princesse de Clèves, Madame de La Fayette (1678).
Le chapitre dédié à ce livre débute par une double page: le numéro du chapitre, le titre de l’œuvre, son auteure, la date de parution et un bref extrait du début du roman.
Introduction
L’introduction résume l’histoire d’une façon magistrale: «Imaginée par une aristocrate de la cour de France au temps des Bourbons (XVIIe siècle), l’histoire est celle d’une aristocrate de la cour de France au temps des Valois (XVIe siècle): Mlle de Chartres, épouse Clèves, rencontre la passion et, très volontairement, refuse de la vivre. Simplifier ainsi la courbe du roman, c’est mettre à nu, sous les fastes du décor historique et ceux du beau langage, ferme et précis, la violence du drame intérieur que se joue là, où tout ce qui est ardent, troublant, vivant finit comme étouffé sous la cendre.»
Exposé
L’exposé est ainsi structuré (œuvre, passion, extrait, auteure, encadrés):
1° - l’œuvre sous plusieurs volets: Prestige de la cour, choix de la solitude; Se voir, s’éprendre, s’examiner; Épier, dissimuler, avouer;
2° - la passion selon l’auteure: L’amour, une passion dérangeante et désordonnée; La tranquillité, mère de toutes les batailles; Amour mort ou préservé?
3° - un extrait du roman (commenté et annoté):
[début] Il se rangea derrière une des fenêtres qui servaient de porte, pour voir ce que faisait Mme de Clèves. Il vit qu’elle était seule ; mais il la vit d’une si admirable beauté qu’à peine fut-il maître du transport que lui donna cette vue. Il faisait chaud, et elle n’avait rien sur sa tête et sur sa gorge que ses cheveux confusément rattachés. Elle était sur un lit de repos, avec une table devant elle, où il y avait plusieurs corbeilles pleines de rubans ; elle en choisit quelques-uns, et M. de Nemours remarqua que c’étaient les mêmes couleurs qu’il avait portées au tournoi. Il vit qu’elle en faisait des nœuds à une canne des Indes, fort extraordinaire, qu’il avait portée quelque temps, et qu’il avait donnée à sa sœur, à qui M. de Clèves l’avait prise sans faire semblant de la reconnaître pour avoir été à M. de Nemours. Après qu’elle eut achevé son ouvrage, avec une grâce et une douceur que répandaient sur son visage les sentiments qu’elle avait dans le cœur, elle prit un flambeau et s’en alla proche d’une grande table, vis-à-vis du tableau du siège de Metz, où était le portrait de M. de Nemours ; elle s’assit, et se mit à regarder ce portrait avec une attention et une rêverie que la passion seule peut donner.
On ne peut exprimer ce que sentit M. de Nemours dans ce moment. Voir au milieu de la nuit, dans le plus beau lieu du monde, une personne qu’il adorait ; la voir sans qu’elle sût qu’il la voyait, et la voir tout occupée de choses qui avaient du rapport à lui et à la passion qu’elle lui cachait, c’est ce qui n’a jamais été goûté ni imaginé par nul autre amant.
Ce prince était aussi tellement hors de lui-même qu’il demeurait immobile à regarder Mme de Clèves, sans songer que les moments lui étaient précieux. Quand il fut un peu remis, il pensa qu’il devait attendre à lui parler qu’elle allât dans le jardin ; il crut qu’il le pourrait faire avec plus de sûreté, parce qu’elle serait plus éloignée de ses femmes ; mais, voyant qu’elle demeurait dans le cabinet, il prit la résolution d’y entrer. Quand il voulut l’exécuter, quel trouble n’eut-il point ! Quelle crainte de lui déplaire ! Quelle peur de faire changer ce visage où il y avait tant de douceur, et de le voir devenir plein de sévérité et de colère !
Il trouva qu’il y avait eu de la folie, non pas à venir voir Mme de Clèves sans être vu, mais à penser de s’en faire voir ; il vit tout ce qu’il n’avait point encore envisagé. Il lui parut de l’extravagance dans sa hardiesse de venir surprendre, au milieu de la nuit, une personne à qui il n’avait encore jamais parlé de son amour. Il pensa qu’il ne devait pas prétendre qu’elle le voulût écouter, et qu’elle aurait une juste colère du péril où il l’exposait par les accidents qui pouvaient arriver. Tout son courage l’abandonna, et il fut prêt plusieurs fois à prendre la résolution de s’en retourner sans se faire voir. Poussé néanmoins par le désir de lui parler, et rassuré par les espérances que lui donnait tout ce qu’il avait vu, il avança quelques pas, mais avec tant de trouble qu’une écharpe qu’il avait s’embarrassa dans la fenêtre, en sorte qu’il fit du bruit. Mme de Clèves tourna la tête, et, soit qu’elle eût l’esprit rempli de ce prince, ou qu’il fût dans un lieu où la lumière donnait assez pour qu’elle le pût distinguer, elle crut le reconnaître ; et, sans balancer ni se retourner du côté où il était, elle entra dans le lieu où étaient ses femmes. Elle y entra avec tant de trouble qu’elle fut contrainte, pour le cacher, de dire qu’elle se trouvait mal ; et elle le dit aussi pour occuper tous ses gens, et pour donner le temps à M. de Nemours de se retirer. Quand elle eut fait quelque réflexion, elle pensa qu’elle s’était trompée, et que c’était un effet de son imagination d’avoir cru voir M. de Nemours. [fin]
4° - l’auteure: Une position sociale éminente, un tempérament secret; Une femme de lettre; Une fin désespérante ou une porte étroite ouverte vers le bonheur?
5° - quelques encadrés critiques insérés ici et là, ainsi qu’une note informative en marge.
Compléments
La recension est complétée par cinq rubriques: Lire (livres); Écouter (enregistrements audio); Voir (films); Éléments de contexte (chronologie sommaire); Jouer pour retenir (questions et réponses).
L’ouvrage est précédé par un exergue, une introduction. Les parties référentielles sont reportées à la fin du livre: table des matières, index, publications du même auteur, notice bibliographique.
Un livre fort intéressant pour s’initier à des œuvres exemplaires et des auteurs marquants de la littérature française.
Référence
Hardy, Christophe. - À la rencontre des romans français. - Paris: Scrineo, 2018. - 478p. - (L’éléphant). - ISBN 978-2-3674-0571-1. - [Exemple: Chapitre 8 - La Princesse de Clèves, p. 118-137; citation: p. 120]. - [Extrait: Bibliothèque électronique du Québec]. - Bibliothèques de Montréal et BAnQ: 843.00923 HAR et 843.009 H268L 2018.
Image
Photo © Claude Trudel, Le monde en images, CCDMD.
«Sitôt que la nuit fut venue, il entendit marcher, et, quoiqu’il fît obscur, il reconnut aisément M. de Nemours. Il le vit faire le tour du jardin, comme pour écouter s’il n’y entendait personne, et pour choisir le lieu par où il pourrait passer le plus aisément. Les palissades étaient fort hautes, et il y en avait encore derrière, pour empêcher qu’on ne pût entrer, en sorte qu’il était assez difficile de se faire passage.» [Extrait de La Princesse de Clèves: Bibliothèque électronique du Québec].
Article connexe
La Princesse de Clèves
Aucun commentaire:
Publier un commentaire