21 juillet 2016

Coups mortels

C’est vrai que je l’ai tué, mais je ne savais pas pourquoi. On ne peut pas me pendre pour cela.


Vendredi, dernière journée de l’année. Le train de six heures quarante-deux traverse bruyamment le quartier des Tanneries. Gérard déjeune seul. Un bol de gruau au lait, saupoudré de cassonade, avec un café. Vêtu d’un pantalon élimé et d’une chemise rapiécée, il enfile ensuite son pardessus. Il prend une clef et sort de la maison par la porte arrière. Le temps est frais. Dans la pénombre matinale, une légère couche de neige recouvre la cour.

Le lève-tôt se dirige vers le hangar. Il débarre le cadenas, entre et prend une vieille hache. Camouflant l’outil sous son manteau, il descend la ruelle jusqu’à la rue Saint-Ambroise, bifurque en direction des voies ferrées, dépasse la rue Turgeon et s’arrête au coin de la rue Saint-Augustin. Le court trajet est parcouru en quelques minutes.

L’épicerie Martin est ouverte, mais seul le store de la porte principale est levé. Gérard pénètre dans le commerce, peu éclairé, salue le propriétaire et demande des biscuits. L’épicier prend un sac de papier sur le comptoir, puis se retourne vers l’étagère murale. Il ouvre une jarre de biscuits et commence à remplir le sac brun.

Gérard entrouvre son pardessus, sort la hache et rejoint le marchand à pas de loup. Il lève l’instrument et frappe l’épicier à la tête. Celui-ci échappe les biscuits et s’écroule aussitôt. Malgré le sang qui se répand sur le plancher, l’attaquant assène un nouveau coup à la tête, puis d’autres au cou de l’homme étendu et inerte. Rapidement, il fouille les poches de sa victime et prend une pile de billets. Sur les entrefaites, un client survient et voit l’assassin penché au-dessus de Fabien baignant dans son sang. Subito presto, le meurtrier s’enfouit par la poste secondaire.

Olivier Brousseau, contremaître à la Rutherford Lumber Company, constate la mort de l’épicier, puis se ressaisit. Il court après le meurtrier en criant «À l’assassin!», mais à cette heure matinale il n’y a pas de passant. Il poursuit sa course à travers quelques rues du quartier, mais perd finalement de vue le fuyard parmi les cours et les hangars de la rue Bourget. Pendant ce temps-là, un autre client arrivé quelques instants plus tard sur le lieu du crime téléphone à la police. Alertés par l’arrivée de la voiture de police, les badauds affluent rapidement en grand nombre.


Comme les autres quotidiens de la métropole, La Patrie affiche à la une un reportage sur le meurtre de l’épicier de Saint-Henri: La police est convaincue que l’assassin a un secret. Triste, les yeux baissés, s’appuyant de ses deux mains sur la rampe de la boîte aux prisonniers, Gérard Filiatreault, 20 ans, 16 rue Bourget, a comparu ce matin devant le juge Amédée Monet, sous l’accusation d’avoir «le 31 décembre dernier tué et assassiné Fabien Martin». L’accusé n’a nullement l’apparence d’un malfaiteur. Il a plutôt l’air doux, timide d’un jeune collégien. C’est un jeune homme aux traits fins, de constitution délicate. Il faut un effort de la volonté pour s’imaginer un instant qu’il a pu commettre un crime aussi brutal que le meurtre de Martin. Les policiers ont été informés que le jeune homme devait acheter une montre pour une jeune fille comme cadeau du Jour de l’An, mais ses parents, disent-ils, avaient l’argent en mains pour faire l’achat. Pourquoi Filiatreault avait-il besoin d’argent? Là est le secret. Un drame intime est-il caché sous cette épouvantable tragédie? L’avenir le dira.

Note

Sans lien avec l’actualité, cette très courte nouvelle est inspirée d’un fait divers survenu à Montréal au début du 20e siècle.

Journal

La Patrie (1879-1978) [Voir en particulier le reportage du 4 janvier 1927]. - Collection numérique de BAnQ.

Carte

1907 - Atlas de Montréal (Planche 29 - TRAS0031) / Pinsonault, A.R. / Atlas of the Island and City of Montréal and Ile Bizard / by A.R. Pinsonault [Montréal?], [1907] / 1 atlas (62 pl.) / TRAS0001-0064 1907 | Alphonse-Rodrigue Pinsonault [sur la Planche 1, l'auteur signe Pinsoneault] - Cote BAnQ: G 1144 M65G475 P5 1907 CAR.

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Une très courte nouvelle se déroulant au début du siècle dernier alors qu’un homme circule sur la rue Notre-Dame en multipliant les confrontations. Un dossier est ajouté à cette nouvelle édition. Il relève des indices conduisant à l’identification des protagonistes, cite les sources de la nouvelle littéraire, souligne les investigations menées d’une façon concomitante et ultérieure à la rédaction du texte, et contient plusieurs documents de première source.

Parcours

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