14 juillet 2013

Les sables bitumineux

L’enjeu de l’exploitation des sables bitumineux albertains est tel que son étude s’avère un impératif individuel et collectif, ici comme ailleurs. La réceptivité étonnante du gouvernement québécois envers l’inversion de l’oléoduc n° 9 rend même urgent un débat citoyen sur la situation.

À cet égard, le livre du journaliste spécialisé Andrew Nikiforuk constitue une introduction pertinente à cette étude : Les sables bitumineux : la honte du Canada, aux Éditions Écosociété. Ce volume est préfacé par le politicien québécois Thomas Mulcair. Une bibliographie exhaustive pourra être consultée et utilisée par les lecteurs désireux d’approfondir encore davantage le sujet.

Dans ce billet : Analyse de la situation, Contexte et débat, Référence, Sur la Toile.

Analyse de la situation

Le journaliste canadien débute son ouvrage par la Proclamation d’un état d’urgence politique en vingt-deux points. Il développe ensuite ses arguments au cours de quinze chapitres. Enfin, Nikiforuk complète son analyse par une postface, une bibliographie et des sources complémentaires, trois annexes, ses remerciements et un index.

Le chapitre initial à caractère historique est bref. Il raconte les explorations et les initiatives de l’Ontarien Charles Mair (1838-1927) dans le bassin du fleuve Mackenzie à la fin du 19e siècle. Une facette méconnue de l’histoire canadienne intéressante à découvrir.

Le chapitre suivant porte sur la terminologie relative aux sables bitumineux, ainsi que sur les deux méthodes d’extraction : 20% du bitume est exploité à ciel ouvert et 80% avec la technique de drainage par gravité au moyen de vapeur (DGMV).

Le chapitre 3 présente l’intérêt des affairistes et politiciens américains envers les sables bitumineux albertains. Quelques aspects sont abordés en détail : les ambitions de l’Américain Herman Kahn dans les années 1960 et 1970, l’exploration gigantesque depuis les années 2000, la Déclaration d’opportunité de 1996, la complaisance de la Commission chargée de l’économie des ressources énergétiques (CERE), le Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité (PSP).

La croissance exponentielle de Fort McMurray, et ses conséquences sociales désastreuses, sont détaillées au chapitre 4 : carnage routier, population en transit, alcool et drogue, crise du logement, crimes contre la personne, inflation et endettement public, détérioration des services, vie de camp, déficience des soins médicaux et suicides, pauvreté et itinérance, etc. L’auteur illustre ses propos par de nombreuses anecdotes, dans le plus pur style journalistique.

Le chapitre 5 traite de la problématique de l’eau, de l’utilisation croissante du gaz naturel, de l’entreposage des déchets toxiques, et des pluies acides, tout particulièrement à cause de la production par DGMV. Les rapports du Programme régional de surveillances des milieux aquatiques (RAMP) sont décortiqués et critiqués.

Le chapitre 6 décrit les bassins de résidus toxiques et leurs effets cumulatifs nocifs, souvent même mortels, sur la faune et les humains. La condition dramatique des Amérindiens est bien caractérisée.

Le chapitre suivant porte sur les prétentions illusoires des entreprises de sable bitumineux à régénérer les sites dévastés par leurs exploitations. Les propos de l’auteur sont fondés sur l’analyse d’un grand nombre d’études scientifiques indépendantes.

Le chapitre 8 donne la mesure de la pollution atmosphérique dans les zones d’usines de valorisation du bitume en Alberta. Les thèmes connexes des ressources aquatiques requises par ces usines, la multiplication des oléoducs et l’expansion des usines de valorisation du bitume ailleurs en Amérique du Nord sont également abordés.

L’ampleur des émissions de gaz à effet de serre (GES) est démontrée dans le chapitre 9. On y parle aussi du postulat de Khazzoom-Brookes, du Protocole de Kyoto, de la problématique du captage du carbone (CSC).

Le chapitre 10 révèle un projet ahurissant : l’utilisation de l’énergie nucléaire au lieu de celle du gaz nucléaire pour l’exploitation des sables bitumineux. Incroyable, mais vrai, des affairistes, des universitaires et des politiciens ont préconisé cette « solution» le plus sérieuse ment du monde…

La question des redevances de l’industrie des sables bitumineux envers les gouvernements fédéral et albertain est soulevée au chapitre 11. La situation est scandaleuse, car les contribuables n’obtiennent qu’une part ridicule du revenu pétrolier. Ce constat a fait l’objet d’une commission d’enquête. Son rapport porte un titre bien évocateur dans le contexte du néolibéralisme : Notre juste part. Suite au chantage de l’industrie pétrolière, ce rapport n’a pas donné lieu à des changements significatifs.

Le chapitre 12 démontre comment le développement exponentiel de l’industrie pétrolière corrompt les politiciens et favorise l’autoritarisme aux dépens de la démocratie et du bien commun. Les nombreux exemples cités sont malheureusement toujours d’actualité. Le Canada est maintenant un État pétrolier, avec tout ce que cela implique, à l’image autres pays pétroliers.

Le chapitre suivant dénude les jovialistes de l’exploitation des sables bitumineux, en contredisant leurs arguments par des faits et en étayant l’inéluctable épuisement des ressources fossiles.

Le chapitre 14 met en scène les protagonistes du débat sur les sables bitumineux. Les réalistes d’un côté : les lucides regroupant surtout des écologistes et des géologues. Les illusionnistes de l’autre côté : les libéraux regroupant notamment des économistes, des hauts fonctionnaires, des politiciens et des industriels.

Le dernier chapitre distingue douze étapes susceptibles de nous diriger dans la bonne direction, celle de la salubrité énergétique. Toutes requièrent une action collective, sauf la onzième qui est déjà à notre portée : Défiez l’État pétrolier. Comment : « Éteignez les machines. Mangez local. Marchez plus. Voyagez moins.»

Dans sa postface, Andrew Nikiforuk rappelle le but de son livre et l’urgence d’agir :

« Avec ce livre, je souhaite lancer un débat éclairé à partir de faits bruts sur l’échelle et le rythme de ce phénomène qui transforme le continent tout entier; j’appelle aussi à mettre dès aujourd’hui un vrai coup de frein au développement. Je sais que le remplacement des combustibles fossiles par d’autres sources d’énergie peu carbonique ne se fera pas en un jour. Il faudra du pétrole et du temps pour bâtir une économie vraiment verte, mais le mastodonte bitumineux ne devrait pas pouvoir détourner la politique publique à son profit ni servir d’excuse pour reporter une réforme urgente du secteur énergétique. »

Outre la table des matières et l’index, plusieurs illustrations servent de repérages : carte de l’Alberta avec la localisation des sables bitumineux de l’Athabasca, de Cold Lake et Peace River (p. 27); carte du bassin du fleuve Mackenzie (p. 86); tableau sur le pourcentage du revenu de l’industrie pétrolière perçu par l’État sous forme de redevances (p. 193); carte du réseau des oléoducs en Amérique du Nord (p. 288); tableau sur les émissions de gaz à effet de serre (p. 290); tableau sur les émissions de GES issues de la production de pétrole (p. 293); tableau sur la production de bitume par projet (p. 299).

Un excellent livre! Une source documentaire de premier plan pour alimenter le débat citoyen sur les sables bitumineux.

Contexte et débat

J’ai lu ce livre après avoir assisté à la conférence inaugurale du Festival des solidarités 2013 : Contrer le modèle extractiviste canadien, avec Melissa Mollen Dupuis (Idle no More Québec), Jean Léger (Coalition Vigilance Oléoducs), Carlos Torres (Chili) et Patrick Bonin (Greenpeace Québec). Animée avec brio par Gabriel Nadeau-Dubois, étudiant en philosophie, cette conférence captivante s’est déroulée à l’Usine C, le 15 juin 2013.

Contrer le modèle extractiviste canadien (YouTube) : Partie 1Partie 2Partie 3Partie 4.

Peu de temps après, les 5 et 6 juillet 2013, une délégation québécoise se rendait à Fort McMurray (Alberta), le centre névralgique mondial de la production des sables bitumineux :

1° - Partenaires dans la catastrophe? Le ministre Blanchet doit entrer dans le 21e siècle (Gabriel Nadeau-Dubois, Le Devoir, 23 juin 2013)

2° - Un œil sur les sables bitumineux (Alexandre Shields, Le Devoir, 30 juin 2013)

3° - Les sables bitumineux – La marche de la guérison (Gabriel Nadeau-Dubois en entrevue radiophonique avec Cybelle Morin, Le café show, Radio-Canada Edmonton, 3 juillet 2013)

4° - L'entrevue avec Gabriel Nadeau-Dubois sur les sables bitumineux (Benjamin Hogue, Radio CIBL 101,5 - Étés généraux, YouTube, 9 juillet 2013)

5° - Une première réflexion à mon retour de Fort McMurray (Éric Pineault, IRIS, 10 juillet 2013)

6° - What I Learned at the Tar Sands (Ethan Cox, The Tyee, 10 juillet 2013)

7° - Une carte postale des sables bitumineux : de la glaise et des sanglots (Arij Riahi, Alternatives, 10 juillet 2013)

8° - Se sortir la tête des sables (Collectif, Le Devoir, 11 juillet 2013) | Time to take our head out of the tar sands (Traduction par Ethan Cox, Rabble.ca, 18 juillet 2013

9° - Drogué au bitume : la face cachée de la prospérité albertaine (1/3) (Gabriel Nadeau-Dubois, Le Huffington Post Québec, 11 juillet 2013) | Addicted to bitumen: The hidden face of the Alberta oil boom (Traduction par Ethan Cox, Rabble.ca, 15 juillet 2013)

10° - La peau prend le goût du soufre (2/3) (Gabriel Nadeau-Dubois, Le Huffington Post Québec, 15 juillet 2013)

11° - D'un pays dévasté à un pays en deuil (3/3) (Gabriel Nadeau-Dubois, Le Huffington Post Québec, 19 juillet 2013)

12° - Le train fantôme du Lac-Mégantic: une métaphore bien réelle (Arnaud Theurillat-Cloutier et Louis Marion, Le Devoir, 15 juillet 2013)

13° - Gabriel Nadeau-Dubois, de retour d'une mission d'observation à Fort McMurray (Entrevue avec Philippe Marcoux, C'est bien meilleur le matin, Radio-Canada, 22 juillet 2013)

14° - Bloquons les sables bitumineux (Vidéo et photos de la délégation québécoise au Fort McMurray, Mario Jean, MADOC, 23 juillet 2013)

15° Avec Idle No More contre les hydrocarbures (Vidéo de Gabriel Nadeau-Dubois, Trois-Pistoles, Écofête, 13 août 2013)

Référence

Nikiforuk, Andrew. – Les sables bitumineux : la honte du Canada. Comment le pétrole sale détruit la planète. – Préface de Thomas Mulcair. – Traduit de l’anglais par Marianne Champagne. – Montréal : Écosociété, 2010. – 312p. – ISBN 978-2-923165-68-4. – Bibliothèques de Montréal et BAnQ : 363.73820971 N692s 2010. – [Citation, p. 246-247].

Sur la Toile

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Non aux sables bitumineux au Québec (Équiterre)
Oil Sands (Gouvernement de l’Alberta)
Sables bitumineux (Gouvernement fédéral du Canada)

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