29 novembre 2009

Les éditeurs québécois (1940-1948)

À l’occasion d’une visite guidée par Michel Michon, commissaire, j’ai eu le plaisir de découvrir le monde de l’édition québécoise au cours des années 1940. L’exposition Les éditeurs québécois et l’effort de guerre est présentée à la Grande Bibliothèque jusqu’au 28 mars 2010.

La scénographie nous invite à un double parcours parallèle dans les aires de l’exposition. De grandes reproductions de journaux illustrent les faits marquants de l’actualité politico-militaire, alors que plus de 200 artefacts produits au cours de la période sont exposés sous vitrines.

Affiches de guerre

Une dizaine d’affiches de propagande militaire du gouvernement fédéral du Canada accueillent les visiteurs. Elles ont été produites par Lionel Bell Jameson, Ted Harris, Henri Heveleigh, Alex McLaren, Gordon K Odell, Hubert Rogers (2). Trois autres sont anonymes. Ces documents proviennent de la Collection nationale de BAnQ.

Dans l’œil du cyclone

Peu après la déclaration de la guerre, le gouvernement fédéral du Canada autorise la réimpression d’ouvrages français. Cette permission va susciter rapidement la création de nouvelles maisons d’éditions québécoises, notamment les Éditions de l’Arbre (Robert Charbonneau et Claude Hurtubise), les Éditions Variétés (Paul Péladeau et André Dissault) et les Éditions Fides (Paul-Aimé Martin).

Compagnons de route

Les éditeurs québécois diffusent des œuvres françaises et québécoises favorables à l’effort de guerre. Ils se conforment ainsi à la censure militaire, tout en profitant de la mise sous veilleuse de la censure cléricale pendant la durée de la guerre. Soulignons quelques ouvrages d’auteurs québécois publiés par ces éditeurs :

Jacques Maritain, Le crépuscule de la civilisation
Anne Hébert, Les songes en équilibre
Roger Lemelin, Au pied de la pente douce
Robert Rumilly, Histoire de la province de Québec
Alain Grandbois, Les voyages de Marco Polo
Yves Thériault, Contes pour un homme seul
Félix Leclerc, Adagio

Montréal, plaque tournante

Les éditeurs montréalais tissent des relations d’affaires avec des maisons américaines et latino-américaines. Cette collaboration favorise la publication de plusieurs ouvrages célèbres :

Robert Choquette, Les Velder
Denis de Rougemont, La part du diable
Georges Bernanos, Monsieur Ouine, Lettre aux Anglais, Le journal d’un curé de campagne, Sous le soleil de Satan
Stéphane Mallarmé, Poésies

Le chant des sirènes

À la fin de la guerre, de nouvelles maisons d’éditions québécoises voient le jour : Lucien Parizeau & Compagnie, Éditions Serge, Éditions Fernand Pilon, Éditions Pascal, Éditions B. D. Simpson. Signalons quelques-unes de leurs publications :

Alain Grandbois, Les îles de la nuit
Jean-Louis Gagnon, Vent du large
Gabrielle Roy, Bonheur d’occasion
Stefan Zweig, Le Brésil, terre d’avenir
Victor Hugo, Œuvres poétiques complètes (une première mondiale)
Maurice Gagnon et autres, Fernand Léger, la forme humaine dans l’espace
Jean Wahl, Poèmes
Charles Beaudelaire, Le spleen de Paris
Arthur Rimbaud, Une saison en enfer
Émile Nelligan, Poésies
François Hertel, Anatole Laplante, curieux homme
Alfred Pellan, Cinquante dessins d’Alfred Pellan

La littérature clandestine au grand jour

L’après-guerre donne lieu à la découverte des œuvres de la Résistance. Signalons certains ouvrages mis alors en valeur :

Pierre Emmanuel, Tombeau d’Orphée
Vercors (Jean Bruller), Le Songe (illustré par Léon Masson)
Andrée Maillet, Ristontac (illustré par Robert La Palme)

Le retour des éteignoirs

L’édition québécoise connut une grande crise après la guerre : seulement 7 des 22 maisons d’édition en activité en 1944 survécurent. Cette crise s’explique par des raisons commerciales, le retour de la censure cléricale et la non-réceptivité des livres québécois en France. C’est dans cette période difficile que parurent les œuvres suivantes :

Paul-Émile Borduas, Refus global
Thérèse Renaud, Le sable du rêve
Paul-Marie Lapointe, Vierge incendié
Roland Giguère, Faire naître

Film

Le film de l’Office national du film sur les métiers du livre mérite aussi d’être souligné. (ONF, 1947, 10 minutes)

Conclusion

Dans une entrevue accordée à Sophie Montreuil, le commissaire Jacques Michon apprécie ainsi le travail accompli par les éditeurs québécois dans les années 1940 :

«Les éditeurs de la guerre ont légué à leurs successeurs un bel héritage. D’abord, ils ont été les premiers à développer des réseaux de distribution du livre québécois partout en Amérique du Nord et à faire connaître la littérature québécoise dans le monde. Ensuite, plusieurs éditeurs qui ont appris leur métier sur le tas ont continué à être très actifs dans l’édition et la librairie au cours des décennies suivantes. […] Enfin, on peut dire qu’ils ont donné naissance à l’édition moderne québécoise en sortant le Québec du folklore littéraire où il était confiné depuis le milieu du XIXe siècle et en favorisant l’essor d’une littérature québécoise exportable et universellement reconnue dans sa spécificité.»

Appréciation

Cette visite guidée m’a permis de découvrir les artisans de l’édition québécoise dans une période méconnue de l’histoire du livre. Sans elle, les artefacts exposés n’auraient pas eu autant de signification.

Références

Michon, Jacques. – 1940-1948, les éditeurs québécois et l’effort de guerre. – Québec : PUL, 2009. – Montréal : BAnQ, 2009. – 180 p. – ISBN 978-2-7637-8961-3. – Cote BAnQ : 070.50971428 M6251m 2009.

Le catalogue de l’exposition contient un grand nombre de reproductions, une bibliographie, une chronologie, la liste des artefacts et des annexes (textes de Claude Hurtubise, Auguste Viatte et Bernard Valiquette).

Montreuil, Sophie. – «Entretien avec Jacques Michon». – À rayons ouverts. – N° 81 (2009). – ISSN 0835-8672. – P. 5-8. – [Version numérique].

Baladodiffusions

La bataille des mémoires – La Deuxième Guerre mondiale et le roman français (Conférence de Yan Hamel)
Le rôle des éditeurs québécois durant la Seconde Guerre mondiale (Entrevue avec Marcel Lajeunesse)

Sur la Toile

Journaux (Collection numérique de BAnQ)
Sur tous les fronts - La Seconde Guerre mondiale et l’ONF

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