16 avril 2025

Les aventures naturalistes de Joseph de Jussieu


Héliotrope arborescent (Heliotropium arborescens, Boraginaceae) – «Cette plante, qui fleurit aujourd’hui dans une multitude de jardins de par le monde, est certainement le legs le plus visible du botaniste.»

Dans son livre intitulé Les conquistadors du savoir, Bernard Jimenez consacre un chapitre au botaniste Joseph de Jussieu (1704-1779), sous le titre Les aventures naturalistes de Joseph de Jussieu.

L’auteur aborde l’œuvre du botaniste en deux parties. Son récit est largement illustré par des documents de première source (dessins, cartes), des peintures artistiques et des photos contemporaines (plantes, paysages).

Première partie – Histoire naturelle et médecine, 1736-1747

[ 1 ] – Les trésors végétaux de « l’avenue des volcans » (1736-1739) – Les découvertes botaniques de Jussieu dans les environs de Quito : Duranta triacantha, Calceolaria crenata, Tigrida pavonia, Heliotropium arborescens, Cactus cylindrus, Chiquiraga jussieui, Lupinus alopecuroides, Azorella compacta. Ces espèces sont illustrées (5 dessins de Jussieu et 3 photos contemporaines).

[ 2 ] – Quinquina, l’or amer des Indes (1737-1739) – L’usage de l’écorce réduite en poudre de l’arbre Quiquina est répandu en Europe au 17e siècle. Mais c’est Joseph de Jussieu qui saura l’identifié précisément, sous sept espèces, dans la région de Loja. Ce n’est qu’en 1936 que son mémoire le décrivant sera publié. Des illustrations du Cinchona officinalis de Jussieu et/ou Morainville accompagnent le récit.

[ 3 ] – Malade, séquestré, puis médecin pour survivre (1739-1747) – Le contexte général (contrebandiers anglais et guerre de Succession d’Autriche) et local (fièvres à répétition, sans nouvelle de ses frères, manque d’argent, épidémie à Quito, contraint de rester sur place pour exercer la médecine, nuages de cendres causés par l’éruption du volcan Cotopaxi en 1744, intempéries) empêche Jussieu de regagner la France.

Seconde partie – L’exploration botanique des Andes et de l’Oriente, 1747-1758

[ 4 ] – À la recherche de la mythique cannelle (décembre 1747-avril 1748) – Les péripéties de l’expédition à la recherche de l’arbre à cannelle sont relatées avec minutie. Mais l’espèce Borbinia peruviana (Ocotea quixos) découverte et décrite par Jussieu n’a pas les qualités de l’espèce Cinnamomum verum (Ceylan, Sri Lanka). Plusieurs dessins de Jussieu et photos contemporaines accompagnent le récit.

[ 5 ] – Le voyage à Lima, avril-septembre 1748 – Jussieu illustre le cactus Cleistocactus neorezlii au cours de son périple et dessine trois oiseaux de Lima ou des environs. Il accepte de retourner en France par Buenos Aires, en compagne de Louis Godin.

[ 6 ] – Dans la vallée sacrée des Incas, septembre 1748-juin 1749 – Après 13 ans écoulés depuis son départ de La Rochelle, et de nombreuses fièvres, Jussieu entreprend avec enthousiasme la prochaine étape de son voyage de retour. De Lima au lac Titicaca, il herborise; par exemple : Passiflora edulis, Annona cherimola, Cantua buxifolia, Allionia incarnata, Crytopetalon ciliare, Ayenia pusilla, Opuntia soehrensii, Tropaeolum oerigrinum, Ullucus tuberosus. En cours de route, il visite plusieurs mines. Plusieurs dessins de Jussieu et des photos contemporaines.

[ 7 ] – Du lac Titicaca aux Yungas, juin-juillet 1749 – Dans ces régions, Jussieu s’attarde pour découvrir et décrire de nouvelles plantes : Buddleja incana, Escobedia scabrifolia, Erythroxylum coca. Trois dessins de Jussieu.

[ 8 ] – L’exploration botanique de l’Oriente, avril 1749-juillet 1750 – Dans la région de Santa Cruz de la Sierra et les missions jésuites de Chiquitos, le botaniste herborise de nouveau : Ficus boliviana, Guapurium peruvianum, Passiflora tomentosa, Garcinia madruno. Cartes dressées et plantes dessinées par Jussieu.

[ 9 ] – Ingénieur à Potosi, autonome 1750-décembre 1755 – Lors de son long séjour à Potosi, Jussieu exerce ses talents d’ingénieur, en particulier pour l’amélioration du fonctionnement d’un moulin à aubes et la reconstruction d’un pont important sur la rivière Pilcomayo. En route vers Lima, pour son retour en Europe avec le gouverneur Domingo de Jàuregui, Jussieur poursuit ses travaux botaniques : Neowerdermannia vorwerkii, Mimosa strombufira. Des dessins techniques et botaniques de Jussieu accompagnent l’exposé.

[ 10 ] – La triste fin d’un chasseur de plantes, janvier 1756-avril 1779 – Après un séjour de 20 ans en Amérique latine, Jussieu retourne à Lima. Il apprend alors le décès de sa mère et de plusieurs de ses frères et la perte de ses envois de plantes. À défaut de pouvoir herboriser, suite à sa maladie pulmonaire attrapée à Potosi, il exerce la médecine, souvent gratuitement pour les pauvres. Il rentre finalement en France en 1771, mentalement malade, après 35 ans d’absence.

Bernard Jimenez témoigne ainsi de la fin de Jussieu : «Sa fin de vie est un martyre. Paralysé, aveugle, Joseph meurt de la gangrène après huit jours de terribles souffrances, le 11 avril 1779, à l’âge de 74 ans.»

Témoignage de Nicolas de Condorset (1743-1794) envers Joseph de Jussieu : une «figure tragique de l’histoire des sciences».

De son œuvre immense ayant survécu, une centaine de dessins et quelque 400 planches d’herbier, Jussieu laisse aussi le souvenir de son humanisme envers les plus pauvres.

Référence

Jimenez, Bernard. – Les conquistadors du savoir. Une fabuleuse épopée scientifique en Amérique du Sud, 1735-1743. – Préface de Christian Grataloup. – Paris : Glénat / La Société de géographie, 2024. – 192 p. – ISBN 978-2-344-058275. – Chapitre 4 : Les aventures naturalistes de Joseph de Jussieu, p. 102-139. – [Citations : p. 103, 137, 139]. – Bibliothèques de Montréal et BAnQ : 508.8 J614c 2024.

Image

Héliotrope arborescent (Heliotropium arborescens, Boraginaceae) © Claude Trudel, Le monde en images, CCDMD. – Photo affichée dans l’album Plantes en Amérique latine et aux Antilles (2025), p. 67.

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09 avril 2025

L’Univers violent / Kumiko Kotera


Nous savons aujourd’hui que l’Univers est peuplé d’une grande diversité d’astres joyeux qui pulsent, explosent, jaillissent, pétillent, et brillent de toutes les couleurs. Ils nous offrent leur fabuleuse énergie non seulement sous forme de lumière, mais aussi en nous envoyant d’autres messagers tangibles : des particules de matière et des ondes déformant la toile de l’espace-temps – de quoi vivre le cinéma de l’Univers violent comme une expérience multisensorielle.

L’astrophysicienne Kumiko Kotera, directrice de l’Institut d’astrophysique de Paris (IAP), nous invite à explorer les récentes découvertes de sursauts lumineux dans l’Univers. Son livre compte quatorze chapitres.

[ 1 ] – Son et lumière – Le chapitre initial relate les péripéties époustouflantes de la détection fortuite de GW170817, le 17 août 2017 à 12 heures 41 minutes 4 secondes UTC. Cette détection de la fusion de deux étoiles à neutrons au sein de la galaxie NGC 4993, tant sous forme d'ondes gravitationnelles que sous forme lumineuse, marque le début de l’ère de la nouvelle astronomie multimessager. Cet événement est illustré sur l’image ci-dessus.

[ 2 ] – Invitation au voyage cosmique – Le chapitre porte sur la sonde Voyager I, les notions de champ magnétique et de plasma, les mesures de distance (année-lumière, parsec, kiloparsec, mégaparsec, gigaparsec; parallaxe), et les grands ensembles cosmiques (Système solaire, Voie lactée, Groupe local, Superamas local, filaments).

[ 3 ] – Une année dans l’Univers violent – Le voyage se déroule dans une boîte cubique de 300 mégaparsecs de côté [Univers local]. Plusieurs événements tumultueux surgissent au fil du temps : supernovae, pulsar, naines blanches, kilonova, disruption par effets de marée d’une étoile à proximité d’un trou noir, sursaut de blazar, trous noirs en coalescence, sursaut gamma. – Citation : «À chaque seconde de votre vie sur Terre, 50 à 100 mille milliards de neutrinos produits par le Soleil sillonnent votre corps, indifférents.»

[ 4 ] – Au cinéma de l’Univers – Le chapitre porte principalement sur le déroulement en plusieurs séquences d’une observation de la Nébuleuse du Crabe avec le télescope 120 de l’Observatoire de Haute-Provence. Plus sommairement sont présentés les observatoires Palomar (1928) et Vera Rubin (2027), ainsi que d’autres programmes d’observation du ciel transitoire. – Citation : «Le défi de nos jours est d’être capable d’effectuer le tri entre les alertes utiles ou non, à distribuer ou non dans le monde entier.»

[ 5 ] – Il pleut des particules – Dans une perspective historique, le chapitre porte sur l’origine et de la nature des rayons cosmiques d’ultrahaute énergie. L’auteure aborde aussi le choix de son sujet de thèse et ses rencontres avec James Cronin, prix Nobel de physique 1980.

[ 6 ] – L’Odyssée du ciel violent – Le destin des étoiles est fonction de leur masse : Soleil (→ naine blanche); étoile ayant 8 fois la masse du Soleil (→ géante rouge → étoile à neutrons); étoile ayant 30 à 40 fois la masse solaire (→ trou noir stellaire). Au cours du chapitre, la vie de Subrahmanyan Chandrasekhar est esquissée et sa contribution déterminante à la physique est soulignée : la masse de Chandrasekhar.

[ 7 ] – La mort des titans – Le sort des étoiles à neutrons est détaillé, dont l’éjecta de la supernovae et la formation des éléments lourds. Les phénomènes étudiés sont expliqués sous la forme d’une chevauchée fantastique d’un rayon cosmique.

[ 8 ] – La naissance des puissances – À Chicago, avec la chercheuse Angela Olinto, l’auteure effectue des recherches pour démontrer que les pulsars (des étoiles à neutrons pêchues) seraient les sources des particules les plus énergétiques connues. Elle commente ainsi l’aboutissement de ses calculs : «Avec les pulsars, j’ai appris l’émotion de la théorie qui tombe juste. Nantie d’un tel résultat, j’ai pu parcourir le monde et donner des présentations exaltées.»

[ 9 ] – Sursauts dansants – L’auteure et deux de ses collègues s’attardent sur l’aspect multimessager des sursauts gamma. À cette fin, la métaphore du couple de danseurs Lisa et Gwen, ainsi que l’observation d’une foule de piétons, est évoquée.

[ 10 ] – D’un bouclier noir aux horizons lumineux – Dans son récit menant à l’image du trou noir supermassif Sagittarius A*de la Voie lactée et de son horizon des événements, l’auteur explique les spéculations, les hypothèses et les découvertes des savants Karl Schwarzchild, Albert Einstein, Reinhard Genzel et Andrea M. Ghez.

[ 11 ] – La ballade de Lisa et Gwen – S’inspirant du roman Le Rivage des Syrtes, de Julien Gracq, l’auteure relate les prémisses théoriques et technologiques menant à la première détection des ondes gravitationnelles, le 14 septembre 2015 : GW150914. «Il s’agissait de l’explosion la plus énergétique jamais observée sur terre.»

[ 12 ] – Vous reprendrez bien un peu de neutrinos ? – Le chapitre porte sur la récupération de neutrinos de très haute énergie, la naissance de l’astrophysique des neutrinos, les expériences IceCube, Antares et KM3Net. La dernière partie aborde les prémisses du projet GRAND pour détecter des neutrinos de très haute énergie dans le désert de Gobi.

[ 13 ] – Du sable et de l’acier – C’est la description minutieuse du projet GRAND dédié à la radiodétection des astroparticules, en particulier l’installation d’antennes dans le désert de Gobi (Chine), à Malargüe (Argentine) et à Nançay (France). Les péripéties se déroulent sur une dizaine d’années (2014-2023).

[ 14 ] – Les grands rêves – L’exposé se termine en apothéose : la détection de neutrinos d’ultrahaute énergie et d’ondes gravitationnelles consécutive à une supernovae surgit de la galaxie Andromède, le 9 mai 2031 à 13 heures 03 minutes 17 secondes…

Appréciation

Un exposé de vulgarisation scientifique fascinant, agrémenté d’anecdotes personnelles, familiales, amicales et professionnelles. L’écriture est rythmée, dynamique, rayonnante d’ultrahaute énergie.

Référence

Kotera, Kumiko. – L’Univers violent. – Paris : Albin Michel, 2025. – 297 p. – ISBN 978-2-226-49714-7. – [Citations : p. 10, 59, 90, 151, 163, 229-230]. – BAnQ : 522.6862 K872u 2024.

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GW170817 : un événement astronomique mondial © El Sol Newspaper / GW170817: un evento astronómico global – Permitida su reproducción total o parcial citando la fuente [La reproduction totale ou partielle est autorisée avec citation de la source.]

Vidéos

GW170817 – LIGO Laboratory / California Institute of Technology (Caltech)

Livre numérique

Astronomie et astrophysique (répertoire de sites et recueil de recensions)

Sur la Toile

Projet GRAND (Giant Radio Array for Neutrino Detection)
Télescope de 120 cm (Observatoire de Haute-Provence)