Plaidoyers pour la gratuité scolaire
Libres d’apprendre
Sous la direction de Gabriel Nadeau-Dubois, les Éditions Écosociété viennent de publier l’ouvrage collectif Libres d’apprendre : plaidoyers pour la gratuité scolaire. Le livre est préfacé par le conteur, chanteur et écrivain Fred Pellerin.
Gabriel Nadeau-Dubois a entrepris ce brillant projet dans la foulée du Sommet sur l’éducation supérieure où la discussion sur la gratuité scolaire avait été proscrite par le gouvernement.
Libres d’apprendre revivifie le débat sur l’éducation universitaire dans le contexte ambiant du néolibéralisme.
Introduction
L’introduction est rédigée par Gabriel Nadeau-Dubois, candidat à la maîtrise en sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) : La petite histoire d’un projet oublié. Elle contient deux sections. La première rappelle les grands jalons de l’histoire de l’éducation et du mouvement étudiant depuis Duplessis jusqu’à nos jours. La seconde présente avec autant de brio les trois parties du livre : La gratuité, comment?, L’école pour tout le monde, Le savoir gratuit.
La gratuité, comment?
Philippe Hurteau et Simon Tremblay-Pepin, chercheurs à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), brossent un tableau sur le financement de l’éducation supérieure au Québec, en comparaison avec d’autres pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans le contexte actuel du néolibéralisme.
Michel Seymour, professeur de philosophie à l’Université de Montréal (UdeM), souligne les contradictions des partisans de la hausse des frais de scolarité, l’impact des coupures dans les transferts en éducation du gouvernement fédéral en 1995, l’incurie de plusieurs administrateurs universitaires, l’injustice causée par l’abolition de paliers d’imposition, les effets pernicieux de l’individualisme, le maintien de stratégies gouvernementales néolibérales.
Ces deux études démontrent d’une façon limpide la faisabilité de la gratuité scolaire dans les institutions universitaires du Québec. Le contexte historique, évoqué dans l’introduction, et le contexte économique, décortiqué dans cette première partie du livre, ouvrent la voie à de nouvelles visions favorables à la gratuité scolaire.
L’école pour tout le monde
La journaliste Lise Payette raconte sa vie d’écolière et d’élève avec passion. Son témoignage est très émouvant et révélateur sur les convictions qui seront siennes tout au long de sa vie. Sa vision et son implication envers les étudiants lors du Printemps québécois le sont également : « Sous la gouverne de Jean Charest, j’ai vu de mes yeux vu ce que je ne pensais jamais voir de mon vivant : des policiers québécois frappant des enfants québécois, parce qu’ils rappelaient aux plus vieux d’entre nous une promesse non tenue. […] Moi, comme citoyenne, j’ai choisi d’investir dans les carrés rouges parce qu’ils sont l’avenir. »
La journaliste Francine Pelletier revient sur les grands événements des dernières décennies dans une perspective féministe : la Révolution tranquille, le mouvement féministe, la tuerie de l’École Polytechnique, le débat sur la charte des valeurs et les droits fondamentaux. Elle conclut en énonçant les conditions d’une nouvelle émergence de l’idée de gratuité scolaire.
Julia Posca, chercheuse à l’IRIS, retrace les grandes étapes de la classe moyenne : ses racines dans les années 1940, son émergence dans les années 1960, son apogée dans les années 1980 et son déclin ultérieur. À titre d’exemple, elle cite le cas de Line Beauchamp. Son questionnement sur le devenir de l’éducation et de la classe moyenne suscite une profonde réflexion sur notre société. Cet exposé est factuel. Il est basé sur plusieurs études exhaustives.
Anne-Marie Boucher, coordinatrice du Réseau SOLIDARITÉ Itinérance du Québec (RSIQ), et Marie-Claude Goulet, médecin auprès de populations défavorisées de Montréal, abordent la question de la gratuité scolaire dans la perspective de la justice et de l’égalité sociales. La réalité pérenne de la ségrégation scolaire est étayée. La conclusion des auteures est éloquente : « La gratuité est pour nous une condition essentielle afin de permettre un accès égalitaire à l’éducation, mais nous aurons besoin de beaucoup plus. Il nous faudra remettre l’éducation au cœur de notre société, avec une philosophie du bien commun, du vivre ensemble, du partage. » Les personnes intéressées plus particulièrement à cette facette du débat sur la gratuité scolaire pourront consulter L’école au service de la classe dominante (Montréal, M éditeur, 2012), le manifeste de la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ) publié en 1972.
Les auteurs de cette deuxième partie du livre sont des auteures. Cette participation féminine au cœur du livre, comme dans la partie suivante, fait écho au célèbre discours de Gabriel Nadeau-Dubois à l’Olympia, le 10 août 2012 : « Nous en avons marre de l’inégalité entre les hommes et les femmes. » Ce cri du cœur était aussi présent dans Nous sommes avenir, le fameux manifeste publié par de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE), le 13 juillet 2012.
Le savoir gratuit
Normand Baillargeon, professeur de philosophie à l’UQÀM, note que l’université est traversée par un principe interne (enseignement et recherche) et un principe externe (adaptation au monde). La redéfinition de l’université au cours des trente dernières années est explicitée. L’auteur réaffirme le bienfondé d’une université publique ayant trois caractéristiques fondamentales : la multiplicité des relations, la compossibilité et la liberté académique. Il développe ensuite cinq arguments favorables à la gratuité scolaire, « un moyen privilégié de réaliser un principe de justice sociale et de préserver le modèle d’université publique ».
Madeleine Lanctôt, actrice, cinéaste, réalisatrice et productrice, aborde la gratuité scolaire sous l’angle de la culture générale et du nationalisme québécois. Dans ce contexte, elle insiste sur l’importance de la formation des maîtres, ainsi que sur la double mission des professeurs : transmettre des connaissances et favoriser l’ouverture à l’altérité. Au cours de son bref exposé, l’auteure définit l’éducation comme « un tremplin vers la liberté ».
Widia Larivière, coordonnatrice jeunesse au sein de l’organisme Femmes autochtones du Québec (FAQ), et Melissa Mollen Dupuis, animatrice au Jardin botanique de Montréal et comédienne dans des séries télévisées, témoignent de l’éducation primaire, secondaire et postsecondaire chez les peuples autochtones du Canada et du Québec. Leur contribution est structurée en plusieurs volets. Depuis 1867, l’éducation primaire et secondaire des Autochtones relève du gouvernement fédéral. Celui-ci a mis en place des politiques éducatives favorisant le génocide culturel et linguistique des Autochtones. Ainsi, des dizaines de milliers d’enfants ont été délocalisés de leur milieu familial et environ 4 000 d’entre eux ont perdu la vie dans ce contexte. Depuis peu, la Cour suprême du Canada rend des jugements reconnaissant les droits ancestraux des Autochtones, même si ceux-ci ne sont pas reconnus dans des traités. Les auteures dénoncent le sous-financement de l’éducation autochtone, une des causes majeures de la fréquentation universitaire marginale chez les jeunes autochtones. Elles vilipendent également la plus récente tentative d’apprivoisement du gouvernement fédéral, le projet C-33 (2014). Trois initiatives initiées au Québec sont soulignées : Collège Manitou (La Macaza), Kahnawake Survival School, Institution Kiuna (Odanak). Ces exemples de décolonisation éducative sont suivis d’un vibrant plaidoyer pour de la gratuité scolaire, dans la foulée du Printemps québécois auquel des étudiants, groupes et organismes autochtones ont milité. Le témoignage informatif de ces auteures est dramatique, émouvant et engageant!
Yvon Rivard, écrivain et ancien professeur de littérature à l’Université McGill, exprime son point de vue en trois phases : les motifs de son implication pendant le Printemps québécois (Je suis descendu dans la rue…), les valeurs des parents et professeurs depuis la Révolution tranquille (le développement personnel, la recherche du bonheur), le but de l’enseignement (aider l’élève à s’émanciper). L’auteur cite notamment les écrits de Jean-Pierre Issenhuth, pédagogue, et de Pierre Vadeboncoeur, syndicaliste et écrivain décédé récemment.
Eric Morin, professeur de philosophie au Collège Édouard-Montpetit, traite des finalités de l’enseignement et du rôle de l’éducation dans la société. S’appuyant sur La Barbarie de Michel Henry, il explique comment le savoir est devenu un moyen au service du système technico-économique. Évoquant Günther Andres, il exemplifie l’inversion fin-moyen dans le contexte de la marchandisation des universités en citant l’ancien recteur Robert Lacroix (UdeM). Reprenant Michel Freitag (Le naufrage de l’université), il démontre que les universités ont cessé d’être des institutions pour devenir de simples organisations, la culture commune en étant évacuée. L’auteur cite le cas du recteur Guy Breton (UdeM). Il conclue son exposé par un plaidoyer pour la gratuité scolaire et le vivre ensemble au Québec.
Cette troisième partie de Libres d’apprendre est donc consacrée à la raison d’être de l’université.
Épilogue
Noam Chomsky a donné une conférence à l’Université de Montréal, le 26 octobre 2013. À cette occasion, dans la salle Claude-Champagne bondée, Gabriel Nadeau-Dubois a présenté à l’auditoire le célèbre linguiste et philosophe politique américain. À l’occasion de cette visite, Gabriel Nadeau-Dubois a également mené un entretien personnel avec l’intellectuel américain. Les questions et réponses de cette rencontre sont rapportées dans l’épilogue de Libres d’apprendre.
Avec son style franc que nous connaissons bien depuis la grève étudiante de 2012, Gabriel Nadeau-Dubois pose des questions percutantes. Les réponses du professeur émérite sont limpides. Les notes en bas de page constituent des informations complémentaires essentielles.
L’entretien porte principalement sur les sujets suivants : le système universitaire américain, l’impact de l’augmentation des frais de scolarité, la mobilité sociale, la bureaucratisation des universités américaines, la marchandisation des universités selon un modèle entrepreneurial, l’excellence académique, le financement de la recherche universitaire, la mobilisation étudiante au Mexique et au Québec, les prochaines luttes à mener pour inverser les politiques épeurantes et destructrices du gouvernement fédéral du Canada.
Le titre de l’épilogue est une phrase exprimée par Noam Chomsky au cours de cet entretien mémorable : « L’université est en train de devenir un Walmart ». J’aimerais terminer la recension de Libres d’apprendre en citant cette autre pensée de Chomsky : « Les étudiants américains ressortent des universités blessés pour le reste de leur vie. »
Notices
Le livre est complété par des notices biographiques sur les auteurs et auteures du collectif Libres d’apprendre. Ces personnes, de différentes générations, proviennent de milieux variés. C’est tout à l’honneur de Gabriel Nadeau-Dubois d’avoir sollicité et réuni leurs témoignages édifiants.
Référence
Nadeau-Dubois, Gabriel, dir. – Libres d’apprendre. Plaidoyers pour la gratuité scolaire. – Préface de Fred Pellerin. – Montréal : Écosociété, 2014. – 200p. – ISBN 978-2-89719-150-4 (papier), 978-2-89719-151-1 (ePub) et 978-2-89719-152-8 (PDF). – Bibliothèques de Montréal et BAnQ : à venir.
Avec des textes de Normand Baillargeon, Anne-Marie Boucher, Noam Chomsky, Marie-Claude Goulet, Philippe Hurteau, Micheline Lanctôt, Widia Larivière, Eric Martin, Melissa Mollen Dupuis, Lise Payette, Francine Pelletier, Julia Posca, Yvon Rivard, Michel Seymour et Simon Tremblay-Pepin.
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