17 janvier 2020

Une carte du monde en 1854


Ce planisphère encyclopédique a été produit par Joseph Hutchins Colton (1800-1893), un éditeur américain de réputation internationale. Attardons-nous à quelques-unes de ses caractéristiques: support et contour, cartouche de titre, cartouches techniques, typographie, découvertes et explorations, frontières, relief, villes et commerce, zones polaires.

Support et contour

La carte a été gravée sur une plaque d’acier. Colorée à la main, elle mesure 118 x 176 cm. Le contour est constitué d’une large bande décorative illustrant des scènes typiques et des villes importantes, dont plusieurs grands ports.

L’Amérique est mise en évidence dans cette mise en situation. La gravure centrale supérieure (sans contour délimité) illustre le débarquement de Christophe Colomb (12 octobre 1492), tandis que celle du bas figure le port de New-York au milieu du 19e siècle. Trois types d’embarcations sont illustrés: chaloupe, voilier et bateau à aubes. Alors que l’image de Colomb illustre les premiers contacts entre Autochtones et Européens, celle de New-York illustre la Révolution industrielle marquée par l’utilisation de machines à vapeur. Comme dans les autres illustrations urbaines, plusieurs édifices new-yorkais sont identifiés: Hôtel de Ville, Bourse, église de la Trinité, etc.

Deux villes européennes et deux villes asiatiques sont illustrées dans les coins de la carte: Londres et Paris, d’une part, Constantinople et Canton d’autre part. Visuellement, ce sont les illustrations les plus imposantes. Les constructions emblématiques de ces villes sont identifiées. Londres: ponts, cathédrale Saint-Paul, monument du Grand Incendie de 1666. Paris: église Notre-Dame, église Saint-Sulpice, Hôtel des Invalides, Palais des Tuileries et Hôtel de Ville. Constantinople: mosquées et tour de Galata; types d'embarcations: radeau, chaloupe, galère, voilier, bateau à aubes. Canton: quartier des factoreries illustrant l’impérialisme occidental en Chine (drapeaux des États-Unis d’Amérique, du Royaume-Uni et des Pays- Bas); type d’embarcations: sampan.


Les gravures urbaines intermédiaires illustrent une ville américaine et trois villes européennes: La Nouvelle-Orléans, Saint-Pétersbourg, Naples et Rome. Quelques sites signalés: industrie du coton à La Nouvelle-Orléans, Palais d’hiver et statut de Pierre le Grand à Saint-Pétersbourg, mont Vésuve à Naples, basilique Saint-Pierre et château Saint-Ange à Rome.

Les scènes représentées sur les bordures latérales ont trait à l’habillement d’Européens, d’Asiatiques et d’Amérindiens dans leur milieu respectif: costumes folkloriques (suisse, circassien et grec), cour d’un mandarin chinois, harem ottoman, Amérindien d’Amérique septentrionale et Amérindienne d’Amérique méridionale.

Fait à noter, aucune illustration relative au continent africain, tant pour les villes que pour les scènes ethniques. Ainsi, l’auteur et l’éditeur américains de cette carte maquillent subrepticement la nature esclavagiste de leur pays.

Cartouche de titre

Le cartouche de titre contient plusieurs informations bibliographiques:
- titre de la carte: Colton's illustrated & embellished steel plate map of the world
- type de projection: on Mercator's projection
- sources documentaires: compiled from the latest & most authentic sources exhibiting the recent Arctic and Antarctic discoveries & explorations
- cartographe et graveur: D. Griffing Johnson
- éditeur: Joseph Hutchins Colton
- adresse de l’éditeur: N° 86 Cedar Street, New York
- année de publication: 1854.


Cartouches techniques

Outre le cartouche de titre, la carte contient plusieurs autres cartouches: rose des vents, orientation, projection, longitudes et latitudes, échelle, grille, distances et chronologie.

Comme l’indique la rose des vents, figurant au croisement du méridien de Greenwich et du Cercle arctique, la carte est orientée vers le Nord:


Le cartographe attribue à la projection de Gérard Mercator (1512-1594), publiée en 1566, plusieurs avantages par rapport à d’autres types de projection, tout particulièrement pour les cartes marines:


Le méridien de la grille des coordonnées géographiques est celui de Greenwich. De part et d’autre de ce méridien, les longitudes sont indiquées par séquence de 15° (et par des chiffres romains). De part et d’autre de l’Équateur, les latitudes sont indiquées par séquence 10°. Le quadrillage de référence est constitué par des lettres majuscules et minuscules (ex.: Mer de Béring dans le quadrilatère Ac).


L’échelle graphique pour calculer les distances est expliquée par le cartographe, exemple à l’appui:


Un tableau affiche les distances entre un grand nombre de villes portuaires et les ports de Londres, New-York et La Nouvelle-Orléans. Les distances entre ces trois ports sont également indiquées:


Typographie

La typographie est caractérisée par l’utilisation d’un très grand nombre de polices et de tailles de caractères. À titre d’exemple, la typographie de l’Empire russe avec ses trois composantes majeures (Russie, Sibérie occidentale, Sibérie orientale) et leurs subdivisions respectives.


Un autre exemple, celui de la Confédération germanique (Allemagne) alors constituée d’un grand nombre d’États, dont plusieurs font l’objet d’une notice (au large de l’Irlande):


Par ailleurs, la typographie d’éléments d’une même catégorie géographique peut varier, comme la taille des noms des continents: Afrique, Amérique méridionale, Amérique septentrionale, Asie, Europe, Océanie. Sur cette carte, l’absence d’homogénéité typographique est manifeste.

Découvertes et explorations

Les Grandes Découvertes et les explorations ultérieures à travers le monde sont un des thèmes majeurs de cette carte. Un grand nombre d’itinéraires sont tracés sur les océans, tandis que des notices sur plusieurs explorateurs sont insérées ici et là. Par exemple, les découvertes de la côte du Labrador par Jean et Sébastien Cabot (1497, 1498):


Les explorations à l’intérieur du continent américain par les Français sont absentes de la carte: golfe et fleuve Saint-Laurent, région des Grands Lacs, fleuve Mississippi, Prairies et Rocheuses. Par contre, certaines explorations à l’intérieur de l’Afrique sont notées, comme celles de Mungo Park (1806):


Un sommaire sur de grands explorateurs est présenté sous forme de tableau, la dernière entrée ayant trait à l’exploration de l’Antarctique:


Frontières

Au milieu du 19e siècle, les frontières entre les empires et pays sont bien différentes de celles d’aujourd’hui. À titre d’exemple, voyons le cas des États-Unis d’Amérique.

Le pays d’origine du cartographe et de l’éditeur de la carte est indépendant depuis le Traité de Paris de 1783. Ses frontières sont mouvantes, en particulier peu de temps avant que cette carte soit dressée. Sa frontière septentrionale fait l’objet du Traité Webster-Ashburton de 1842 et du Traité de l’Oregon de 1846. Sa frontière méridionale fait l’objet du traité de Guadeloupe Hidalgo de 1848. À l’exception notable de la Californie, la presque totalité de l’espace à l’ouest du Mississippi est constituée de territoires fédéraux.

Deux exemples illustrant cette dimension historique de la frontière mouvante des États-Unis d’Amérique au milieu du 19e siècle:
- la revendication territoriale américaine indiquée par un tracé en filigrane dans la région de Madawaska, à la jonction du Québec (Canada-Est), du Nouveau-Brunswick et du Maine;
- la présence de plusieurs nations amérindiennes dans l’Ouest américain.


Relief, villes et commerce

Les montagnes sont illustrées par des hachures, tandis que les déserts le sont par des pointillés. La population de plusieurs villes est notée. Exemples:
- Empire chinois: chaîne de montagnes Tian Shan et désert de Gobi;
- Empire russe: chaîne de montagnes Oural, population de certaines villes (dont Tobolsk) et notice historique sur le plus vieux centre urbain de Sibérie.


En lien avec les découvertes et explorations, le commerce maritime fait l’objet de plusieurs notices, comme les exportations indonésiennes de poivre et de café [un volcan sous-marin (1789) est localisé par un point]:


Zones polaires

Les explorations de l’Arctique et de l’Antarctique font l’objet de plusieurs annotations, l’Antarctique faisant même l’objet d’une gravure:


Appréciation

Cette carte encyclopédique poursuit une longue tradition cartographique visant à reproduire une image complète et dynamique du monde. Elle illustre le monde au milieu du 19e siècle, un monde caractérisé par la poursuite des explorations et du commerce mondial à l’ère de la Révolution industrielle. Un monde dont les contours et des espaces restent à découvrir et explorer, notamment aux pôles et au cœur de l’Afrique. Un monde dominé par quelques grands empires.

Carte

1854 - Monde - (Colton's illustrated & embellished steel plate map of the world on Mercator's projection: compiled from the latest & most authentic sources exhibiting the recent Arctic and Antarctic discoveries & explorations / D. Griffing Johnson, graveur / Joseph Hutchins Colton, éditeur, New-York, 1854) - Bibliothèque du Congrès.

Références

Cartes et coordonnées (Commission de la frontière internationale)
Expansion territoriale américaine (Lionel Jean, Université Laval)
Grammaire de la carte (livre numérique gratuit)
Joseph Hutchins Colton (biographie)

Articles connexes

Atlas historique de l’Arctique
Exploration de la Sibérie
La Grande Expédition américaine de 1838-1842
La nouvelle nature des cartes
Un voyage à travers le temps

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