David Altmejd / La genèse du loup-garou
Dans ma tête, j’invente un système symbolique avec mes pièces pour qu’elles racontent une histoire.
David ALTMEJD
La sculpture Le désert et la semence (2015) est exposée au Musée d’art contemporain de Montréal. C’est l’une des œuvres les plus fascinantes de l’exposition rétrospective intitulée David Altmejd - Flux. Son architecture est complexe. Ses éléments constitutifs sont étonnants. Son symbolisme est marquant.
L’œuvre d’Altmejd raconte la genèse du loup-garou dans un circuit étagé sur différents niveaux et réparti sur les quatre côtés d’une grande boîte rectangulaire. Les miroirs, généralement brisés, sont omniprésents. L’exploration de la sculpture et de ses éléments s’effectue en contournant successivement les quatre côtés du rectangle, dans le sens opposé des aiguilles d’une montre.
Le mot loup-garou est entré dans le vocabulaire français au 12e siècle. Par contre, la croyance populaire voulant qu’un homme puisse avoir la possibilité de se transformer en loup existe depuis les temps immémoriaux.
Les cinq séquences de la genèse du loup-garou par Altmejd peuvent être ainsi résumées: la création d’une pâte et son modelage, la création d’une tête humaine, la transformation de la tête humaine, l’émergence d’une tête animale, le loup-garou boucle la boucle. Voyons de plus près chacune de ces phases.
Le créateur de l’œuvre est évoqué sur le premier côté par une tête constituée de mains blanches, au bas d’un petit escalier souterrain. Un peu plus loin, sur trois niveaux s’élevant successivement en hauteur, les étapes initiales de la création du loup-garou sont illustrées. Dans un petit carré de plexiglas, des mains façonnent une pâte avec du sable et un liquide. Le sable provient d’un grand rectangle rempli de sable, et situé au milieu de la sculpture, tandis que le liquide s’écoule d’un petit réservoir suspendu au plafond de la salle. Les mains fabriquent un objet ovoïde qui se transforme en noix de coco.
Le fruit exotique se métamorphose graduellement en tête humanoïde, sur un niveau supérieur situé du deuxième côté de la sculpture. Les yeux, le nez et les lèvres sont d’abord esquissés. Ils sont ensuite plus prononcés et quelques cheveux sont ajoutés. Cette transformation s’achève par des cheveux abondants, une large moustache et des sourcils au-dessus des yeux fermés. Sur un niveau supérieur, mais séparé, la tête humaine s’affirme avec une peau colorée. Placés sous la tête, l’outil et les matériaux utilisés par le créateur de l’œuvre sont étalés: un pinceau, des pigments de couleur et quelques cristaux.
Le dessous du troisième côté est évidé, mais deux boules blanches sont suspendues au plafond de la cavité. Sur le plus haut niveau de la sculpture, la tête colorée a les deux yeux ouverts et des cristaux de quartz surgissent sur son oreille gauche. Un nouveau plateau de pigments donne ensuite sur une nouvelle transformation de la tête: l’œil gauche est fermé, des cristaux sont plus nombreux, le nez est plus gros et la bouche plus avancée. Deux boules grisâtres séparent cette tête d’une double cage de plexiglas. Au sol de la première cage, une boîte ajourée de pigments, et un pinceau juste au-dessus. Une nouvelle séquence de la genèse du loup-garou prend place, la phase aérienne de la transformation de l’homme en loup. La tête, suspendue au plafond de la cage et vue latéralement, est orientée vers la droite. Elle est plus chevelue et les cristaux sont abondants dans sa bouche.
À la base du quatrième côté, un grand miroir brisé s’ouvre en cascade sur d’autres miroirs brisés. Dans la deuxième cage de plexiglas, à l’angle des côtés trois et quatre de la sculpture, la tête est vue de face. Elle manifeste de nouvelles transformations: l’œil droit est fermé, les oreilles sont plus grosses, le nez plus cristallisé sur le côté gauche. Sur une petite tablette en plexiglas adjacente à la cage, la tête devient plus minéralisée, les oreilles encore plus allongées et effilées. Vue de profil, la tête du loup-garou apparaît enfin juste au-dessus de l’escalier sous-terrain du premier côté.
Vue de face puis latéralement, sur le premier côté, la tête de l’animal nocturne est saisissante. Le regard concentré, en guettant sa proie, la bête maléfique bondit dans la nuit. Sa gueule s’ouvre. Puis, avec ses dents acérées et pointues, le loup-garou saisit la pâte primordiale. Le jus de la noix de coco s’écoule alors dans un petit réservoir…
Les boules blanches et grisâtres situées exactement au mitan des cinq séquences de la genèse du loup-garou, sur le troisième côté de la sculpture Le désert et la semence (2015), font écho à des boules similaires figurant dans Le flux et la flaque (2014). C’est comme si le sculpteur avait voulu signifier que sa pièce plus récente est en quelque sorte une extension de l’œuvre synthèse de ses quinze dernières années de pratique artistique.
Les matériaux utilisés par l’artiste dans son œuvre Le désert et la semence sont nombreux et diversifiés: acier, argile époxy, cheveux synthétiques, contreplaqué, eau, fil métallique, gel époxy, MDF [panneau de fibres de bois], miroir, monofilament, mousse de polyuréthane, noix de coco, peinture acrylique, peinture au latex, pinceaux, plâtre, plexiglas, polystyrène, quartz, résine, sable, système d’éclairage, yeux en verre.
L’exposition David Altmejd - Flux se poursuit au Musée d’art contemporain de Montréal jusqu’au 13 septembre 2015.
Références
La citation de David Altmejd est tirée de l’article La distance et la contrainte (Julie Ledoux, Voir, 18 juin 2015).
La photographie de l’œuvre Le désert et la semence / The Desert and the Seed (2015) est affichée sur le site du Musée d’art contemporain de Montréal. Il suffit de cliquer sur l'icône Loupe pour afficher une série de trois photos plein écran (côtés 1, 2 et 3 de la sculpture). Dans un enregistrement audio de 1:32 min, David Altmejd explique le sens de sa sculpture.
La sculpture Le désert et la semence (2015) est postérieure à la publication du catalogue de l’exposition, mais le thème du loup-garou (évoquant notamment la dualité, les transformations, le mouvement et l’énergie) est abordé dans les entrevues avec David Altmejd (p.24-41) et l’essai de Louise Déry (p. 42-51):
Hergott, Fabrice. - David Altmejd. Flux. - Paris: Éditions Paris Musées, 2014. - 182p. - ISBN 978-2-7596-0262-9. - Bibliothèques de Montréal et BAnQ: à venir.
Les définitions, étymologies et histoires des mots loup, garou et loup-garou sont détaillées dans le dictionnaire Le Trésor de la langue française informatisée (TLFi). Par ailleurs, selon le dictionnaire Merriam-Webster, les mots wolf et werewolf sont apparus dans la langue anglaise avant le 12e siècle.
Ajout (17 07 2015):
La métamorphose dans l'œuvre de David Altmejd (Marie-Ève Tanguay, mémoire de maîtrise, Université Laval, juillet 2014) - [Voir en particulier le chapitre 2 portant spécifiquement sur le loup-garou: Métamorphose, motif et représentation, p. 35-64].
Ajout (31 07 2015):
Édition présentée, annotée et commentée par Annik-Corona Ouellette et Alain Vézina, l’anthologie Contes et légendes du Québec contient quatre récits sur le loup-garou racontés par Honoré Beaugrand (1892), Louis Fréchette (1900), Louvigny de Montigny (1899) et Daniel Sernine (1981):
Ouellette, Annik-Corona; Vézina, Alain. - Contes et légendes du Québec. - Montréal: Beauchemin, 2006. - 333p. - (Parcours d’un genre). - ISBN 978-2-7616-3292-3. - [Le loup-garou, p. 73-108 / Les loups-garous, p. 261-270]. - Bibliothèques de Montréal et BAnQ: 398.209714 C7618 2006.
Tous les contes (Thème du loup-garou / Auteurs: Charles-Marie Ducharme, Honoré Beaugrand, Louis Fréchette, Pamphile Lemay, Louvigny de Montigny, Wenceslas-Eugène Dick)
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