17 juin 2014

Introduction au capital | Thomas Piketty

Depuis sa parution, Le capital au XXIe siècle connaît un succès phénoménal dans le monde occidental, notamment en France, aux États-Unis d’Amérique et au Québec.

L’Introduction de l’ouvrage est en libre accès sur le site de son auteur, le professeur d’économie politique Thomas Piketty. Elle est volumineuse : plus de cinquante pages.

L’incipit souligne l’enjeu majeur de la répartition des richesses dans les débats contemporains : « […] le capitalisme produit mécaniquement des inégalités insoutenables, arbitraires, remettant radicalement en cause les valeurs méritocratiques sur lesquelles se fondent nos sociétés démocratiques. »

L’introduction aborde ensuite trois grands thèmes : les sources consultées, les résultats obtenus et le cadre de l’enquête.

Sources

La question des sources est envisagée et traitée d’une façon chronologique sous différentes facettes. Les connaissances intuitives, notamment celles que l’on retrouve dans les romans d’Honoré de Balzac et de Jane Austen, sont d’abord valorisées. Les analyses savantes entreprissent en sciences sociales sont ensuite justifiées.

1811 – Le Cœur et la Raison, Jane Austen
1835 – Le Père Goriot, Honoré de Balzac

L'auteur poursuit son exposé en critiquant les sources de Thomas Malthus, notamment les récits de voyage de son compatriote Arthur Young. Le principe de la rareté, défini par David Ricardo, et le principe d’accumulation infinie, formulé par Karl Marx, sont ensuite commentés. Contrairement à ces économistes apocalyptiques, Simon Kuznets bénéficie de sources statistiques novatrices et exhaustives : les déclarations de revenus et les estimations du revenu national des États-Unis d’Amérique. Il en extrapole une théorie optimiste surnommée « courbe de Kuznets ».

1798 – Essai sur le principe de population, Malthus
1817 – Principes de l’économie politique et de l’impôt, Ricardo
1867 – Capital, tome I, Marx
1953 – La part des hauts revenus dans le revenu et l’épargne, Kuznets
1955 – Croissance économique et inégalité du revenu, Kuznets

Au terme de cette rétrospective historique, Thomas Piketty remet la question de la répartition au cœur de l’analyse économique : « Nous n’avons dans le fond aucune raison de croire dans le caractère autoéquilibré de la croissance. »

Dans son livre, l’auteur s’appuie sur deux grands types de sources historiques inédites, les premières portant sur les revenus (du travail et du capital) et les secondes sur les patrimoines (successions, héritages et épargnes).

Depuis 2001 – The World Top Incomes Database (WTID)

Résultats

Dans la deuxième partie de son introduction, l’auteur dégage les deux principales conclusions résultant de son livre. La première : l’histoire du partage des richesses est profondément politique. La seconde : des mécanismes favorisent alternativement la convergence et la divergence de la répartition des richesses.

Avant de s’attarder aux mécanismes de la divergence, Thomas Piketty indique la plus grande force de convergence, c’est-à-dire celle qui atténue les inégalités : la diffusion de l’éducation et les investissements dans les qualifications et la formation.

Les processus de divergence sont doubles : le décrochage des plus hautes rémunérations; l’accumulation et la concentration des patrimoines. Ces derniers mécanismes sont illustrés par des graphiques historiques : l’inégalité des revenus aux États-Unis d’Amérique (1910-2010); le rapport capital/revenu en Europe (1870-2010).

La formule r > g rend compte de l’inégalité fondamentale de la répartition des richesses, le r correspondant au taux de rendement du capital et le g au taux de croissance. Cette dimension va jouer un rôle déterminant dans le livre.

Cadre

Le premier volet porte sur le cadre spatio-temporel, le second sur le cadre théorique et conceptuel. Sous ce dernier volet, l’itinéraire intellectuel de l’auteur est évoqué.

L’analyse de la dynamique de la répartition des richesses au niveau mondial depuis le 18e siècle est visée, mais en pratique elle portera principalement sur certains pays riches : États-Unis d’Amérique, Japon, Allemagne, France et Royaume-Uni.

Cet espace d’étude est justifié par la quantité et la qualité des sources historiques disponibles. À plusieurs égards, le cas de la France est exemplaire : les sources successorales sont disponibles depuis la Révolution française, une lente croissance démographique, un idéal d’égalité juridique face au marché. Ces attributs sont comparés aux données similaires des États-Unis d’Amérique et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne.

Au cours de sa jeunesse, Thomas Piketty a vécu l’effondrement des dictatures communistes européennes. Après un bref séjour à l’Université de Boston, il est revenu résolument en France pour devenir un économiste universitaire en rejoignant l’École des hautes études en sciences sociales. Son travail a surtout consisté à rassembler des sources pour établir des faits et des séries historiques sur les répartitions de revenus et de patrimoines. Sa vision capitaliste est pragmatique : « L’inégalité n’est pas nécessairement mauvaise en soi : la question centrale est de savoir si elle est justifiée, si elle a ses raisons. »

L’auteur précise que son exposé minimisera le recours à la théorie, aux modèles et aux concepts abstraits. Par exemple, il utilisera et expliquera simplement les deux lois fondamentales du capitalisme. Cette approche pédagogique vise une meilleure compréhension des évolutions historiques présentées dans son livre.

Contenu

Les quatre grandes parties du livre, avec leurs chapitres respectifs, sont présentées à la fin de l’introduction :

I – Revenu et capital (1-2)
II – La dynamique du rapport capital/revenu (3-6)
III – La structure des inégalités (7-12)
IV – Réguler le capital au 21e siècle (13-16)

Thomas Piketty termine son introduction en rappelant le but de sa démarche et l’intérêt des leçons de l’histoire.

Pour compléter ce bref aperçu d’une œuvre magistrale, indiquons les autres parties du livre :

Sommaire
Remerciements (genèse des recherches et contributions)
Livre et annexe technique / site Internet : guide de l’utilisateur
Épigraphe

Conclusion
Table des matières
Liste des graphiques et tableaux

Une Introduction aussi captivante est assurément une invitation à poursuivre la lecture de cet essai. La Conclusion, d’une dizaine de pages, fait écho à l’Introduction, d’où la pertinence de la lire avant d’entreprendre la lecture du corps de l’ouvrage.

Référence

Piketty, Thomas. – Le capital au XXIe siècle. – Paris : Seuil, 2013. – 970p. – (Les livres du Nouveau Monde). – ISBN 978-2-02-108228-9. – Bibliothèques de Montréal et BAnQ : 332.041 P636c 2013 et 332.041 P636c 2013. – [Introduction, p. 15-68]. – [Citations, p. 16, 38, 44]. – [Les titres des romans de Jane Austen et d'Honoré de Balzac sont précisés à la page 184].

Extraits du livre (Sommaire, Introduction, Chapitre 1 en partie, Table des matières) et compléments documentaires (graphiques, tableaux et séries statistiques) sur le site de l’auteur : Le capital au 21e siècle.

Sur la Toile

École des hautes études en sciences sociales (EHESS)

The World Top Incomes Database (WTID) (Facundo Alvaredo, Tony Atkinson, Thomas Piketty et Emmanuel Saez)

Piketty : contre les inégalités du capitalisme et pour un savoir libre de propriété intellectuelle? (Francis Fortier, IRIS, 13 juin 2014)

Les données fiscales et le 1 % le plus riche (Mario Jodoin, IRIS, 18 octobre 2013)

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