La mer de la Tranquillité
La quatrième page de couverture du recueil de nouvelles de Sylvain Trudel a capté mon attention. L’invraisemblance des propos et la diversité des sujets présentés ont tellement suscité ma curiosité que j’ai aussitôt décidé de lire ces nouvelles.
Quelques instants plus tôt, mon regard avait été attiré par un capteur de rêves figurant sur la couverture du livre. L’auteur en fait ainsi la description :
Un jour, ma grand-mère Prudence m’a offert un capteur de rêves – un entrelacement de babiche d’orignal monté sur un cerceau de frêne blanc et orné de plumes de balbuzard – et un bâton à exploits à tête d’Oiseau-Tonnerre.
Voilà pour l’enveloppe, l’enrobage. À l’intérieur, une dizaine de récits aux titres évocateurs (lieux) :
1. - Épiphanies (Pointe-Gatineau)
2. - Deux visages (Sainte-Rose-de-Lima)
3. - L’Oiseau-Tonnerre (Sénécoupé)
4. - Le quadrille à Maman Maïs (Ahuntsic)
5. - Tulipes et coquelicots (banlieue)
6. - La mer de la Tranquillité (parc urbain)
7. - Du camphre en talisman (Faubourg-à-la-Mélasse)
8. - La mort heureuse (Laval)
9. - Vaisseau négrier
10. - Poussière rouge (Québec).
Les trois premières nouvelles sont racontées par un narrateur bébé-enfant-adolescent. Pour comprendre tous les éléments de ces récits, il faut avoir un bagage d’éducation chrétienne et une connaissance minimale du monde amérindien.
Un adolescent idéaliste, une prostituée et un mendiant sont les protagonistes de la quatrième nouvelle. Les contrastes sont marqués et violents. Dans le récit suivant, un voisin compare sa vie terne avec celle de son voisin, un vétéran héroïque.
Ensuite, la nouvelle éponyme du recueil dans laquelle un jeune de vingt-deux ans et un vieillard entretiennent un dialogue existentiel. Des mots simples et francs pour des questions complexes et douloureuses.
Le septième récit est difficilement supportable. C’est celui d’un jeune adulte, témoin d’un adolescent suicidé, fils d’une mère assassinée et d’un père meurtrier. Comment ne pas être très sensible à la misère séculaire des gens du Faubourg-à-la-Mélasse, avec son parc Sainte-Marie, la rue Fullum, l’église Saint-Eusèbe, l’école Jean-Baptiste-Meilleur, la Macdonald Tobacco, la prison Parthenais et le pont Jacques-Cartier.
La nouvelle suivante est tout aussi horrible, celle de deux frères dont l’aîné est victime du mal de vivre. Une vie familiale ordinaire dans une banale banlieue en est le cadre.
L’avant-dernière nouvelle est cynique. Parfois hilarante, en particulier lors des dialogues entre le narrateur cancéreux et son infirmière musulmane. C’est une lettre d’un père divorcé à son fils. Le testament d’un homme brillant, lucide, angoissé, désespéré, agonisant lentement mais sûrement.
Ajoutée dans cette réédition de La mer de la Tranquillité, la dernière nouvelle est tragique, symbolique et prophétique. Pérégrination existentielle dans la ville de Québec où « tout le quartier Limoilou est recouvert d’une fine couche de métaux lourds ». Métaphore d’un narrateur cancéreux. Et plus encore.
Les histoires sont étonnantes et parfois amusantes, mais plus souvent empreintes de tragédies, de cynisme, d’absurde, de désespoir et de colère. Un monde de solitude, de solitaires, sans aucun espoir.
L’érudition du narrateur est omniprésente. Le vocabulaire est riche et les termes précis. Les figures de style sont multiples et diversifiées. Les descriptions sont exemplaires.
Un texte si attachant qu’on se plaît à le relire, séquence après séquence, même en cours de lecture.
Référence
Trudel, Sylvain. – La mer de la Tranquillité. Nouvelles. – Nouvelle version augmentée et revisitée par l’auteur. – Paris : Notabilia / Noir sur Blanc, 2013. – 177p. – ISBN 978-2-88250-321-3. – Bibliothèques de Montréal et BAnQ : ROM TRUD. – [Citation, p. 36]. – [Prix du Gouverneur général du Canada en 2007].
Sur la Toile
Sylvain Trudel, La mer de la tranquillité (Isabelle Lassalle, France Culture, 29 août 2006)
Le mal des profondeurs (Tristan Malavoy-Racine, Voir, 31 août 2006)
Sylvain Trudel : revivre et réécrire (Chantal Guy, La Presse, 5 octobre 2013) [Entrevue]
La mer et la tranquillité, Sylvain Trudel (Christian Desmeules, Le Devoir, 30 novembre 2013)
Sylvain Trudel (Biobibliographie)
Sylvain Trudel (Documentation critique)
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