02 juin 2008

Revendiquer l’Amérique

Dans un contexte de rivalités impériales, les cartographes privilégient souvent les ambitions politiques de leur pays respectif au lieu de s’en tenir à la rigueur scientifique dans leur travail géographique. Leurs cartes sont alors des œuvres de propagande.

Au lendemain du traité d’Utrecht (1713) et jusqu’au traité de Paris (1763), la «guerre des cartographes» sera très vive. Avec sa carte de la Louisiane (1718), Guillaume Delisle lance en quelque sorte les hostilités. Entre autres, les cartographes Herman Moll (Amérique du Nord, 1720), Henry Popple (Amérique septentrionale, 1733) et John Mitchell (Amérique du Nord, 1755) lui donneront la réplique.

Sur les rivalités franco-anglaises au 18e siècle, le onzième parcours de l’exposition Ils ont cartographié l’Amérique présente des cartes de Jean-Baptiste de Couagne, Thomas Jefferys (Georges Louis Le Rouge), Herman Moll, John Senex et une carte de la Society of Anti-Gallicans. Ce parcours présente aussi les traités de paix de 1713 et 1763 qui, en deux étapes, ont mis fin à la Nouvelle-France.

La période couverte dans ce parcours va de 1712 à 1763.

Cartes et traités

1712 – Carte du Canada (carte manuscrite, Jean-Baptiste de Couagne) [ 1 ]

Cette carte a été dressée en 1712, au moment des négociations de paix à Utrecht. Reflétant le point de vue des Français, cette carte porte le titre suivant : «Carte du Canada ou les terres des François sont marquées de bleu et celles des Anglois de jaune». Les villes et les forts des Européens, ainsi que les villages des Amérindiens, sont représentés par des symboles différents.

1713 – Traité d’Utrecht (livre)

Par le «Traité de paix entre la France et l’Angleterre conclu à Utrecht le 11 avril 1713» (La Rochelle : Michel Salvin, 1713), la France cède à l’Angleterre l’île de Terre-Neuve, l’Acadie et le territoire de la baie d’Hudson. Le livre est ouvert aux pages 58-59 (articles XI et XII). Ce document provient du Centre de conservation de BAnQ [ RES AF 141 ].

1719 – Empire britannique en Amérique (carte gravée, John Senex) [ 3 ]

L’auteur de cette carte s’est inspiré de Melchisédech Thévenot et Hubert Jaillot. Sur cette carte de propagande, tout le sud du fleuve Saint-Laurent est attribué à des colonies anglaises, ainsi que le sud des lacs Ontario et Érié. Par ailleurs, la présence iroquoise est gommée. Cette carte provient de Bibliothèque et Archives Canada [ NMC 21061 ].

1732 (1715) – Amérique du Nord (carte gravée, Herman Moll) [ 2 ]

Après la publication de la carte de la Louisiane (1718) de Guillaume Delisle, Herman Moll a modifié et réédité sa carte de 1715. Sur cette nouvelle carte (1720), il minimise les possessions françaises et étend la superficie des colonies anglaises. La carte exposée dans cette zone de l’exposition a été imprimée en 1732. Elle provient de Bibliothèque et Archives Canada [ NMC 21061 ].

L’image des castors est reproduite en grand format dans le parcours Convertir et commercer de l’exposition. Les autres cartouches portent sur l’Amérique du Nord, Charlestown, la Caroline et la Louisiane. Sur la carte, tout le sud du fleuve Saint-Laurent est attribué à des colonies anglaises. Parmi les annotations militaires, notons celles ayant trait à l’année 1711 : la participation de 2 000 guerriers iroquois en vue d’une attaque contre Montréal et l’échec de la flotte de Walker à l’île aux Œufs.

1755 – Empire britannique en Amérique du Nord (carte gravée, Society of Anti-Gallicans) [ 4 ]

Selon cette carte antifrançaise, les possessions françaises se limitent au Canada (une partie seulement de la rive nord du fleuve Saint-Laurent), les îles d’Anticostie, Saint-Jean et Cap-Breton, et la rive nord de l’île de Terre-Neuve. Par contre, les frontières de plusieurs colonies anglaises sont prolongées horizontalement au-delà du fleuve Mississipi. Cette carte provient du Centre d’archives de Québec / BAnQ [ P600 S4 SS2 D150 ].

1755 – Amérique septentrionale (carte gravée de Thomas Jefferys traduite par Georges Louis Le Rouge) [ 5 ]

La carte affichée dans l’exposition est insérée dans les «Mémoires des commissaires du roi et ceux de Sa Majesté britannique, sur les possessions et les droits respectifs des deux Couronnes en Amérique» (Paris : Imprimerie royale, 1755). Ce livre provient du Centre de conservation de BAnQ [ RES AD 39 ]. La carte numérique en hyperlien provient aussi du Centre de conservation de BAnQ [ G 3415 1755 L47 CAR ].

Après le traite de paix d’Aix-la-Chapelle (1748), la France et l’Angleterre désignent des commissaires pour arrêter les frontières de l’Acadie laissées en suspend dans le traité d’Utrecht (1713). Les Anglais revendiquent tout le territoire situé au sud du fleuve Saint-Laurent, à partir de Lévis jusqu’à Brunswick (Maine). Les négociations sont toujours en cours au début de la guerre de la Conquête. Un cartouche présente un tableau intéressant sur les coordonnées géographiques de plusieurs villes selon différents cartographes.

1763 – Traité de Paris (livre)

Le «Traité de paix entre le roi, le roi d’Espagne et le roi de la Grande-Bretagne, conclu à Paris le 10 février 1763» (Paris : Imprimerie royale, 1763) met fin à la Nouvelle-France. Par ailleurs, ce traité marque le début de l’hégémonie anglo-saxonne qui perdurera dans le monde.

De tous les pays européens qui ont colonisé l’Amérique, seulement trois ont réussi leur colonisation d’une façon durable : le Portugal au Brésil, l’Espagne en Amérique latine et l’Angleterre en Amérique du Nord. C'est dans ce contexte que les nations acadienne et québécoise, ainsi que plusieurs nations amérindiennes, survivront jusqu’à nos jours.

Le livre est ouvert aux pages 10-11 (articles IV et V). Il provient du Centre de conservation de BAnQ [ RES AD 113 ].

Notes

Les cartes reproduites dans La mesure d’un continent sont décrites par Jean-François Palomino, aux pages suivantes :

[ 1 ] 158, [ 2 ] 160-161, [ 3 ] 156-157, [ 4 ] 230, [ 5 ] 170.

Celles de Guillaume Delisle (Louisiane, 1718), Henry Popple (Amérique septentrionale, 1733) et John Mitchell (Amérique du Nord, 1755) sont reproduites et décrites aux pages suivantes :

[ Delisle ] 179, [ Popple ] 213-215, [ Mitchell ] 139, 190-191.

Références

[ 1° ] Gagnon, François-Marc. - «Écrire sous l’image ou sur l’image». - Études françaises. - Vol. 21, n° 1 (1985). - P. 83-99. – [Article consulté en ligne, le 31 mai 2008].

L’article porte sur l’image des castors que l’on retrouve sur la carte de l’Amérique du Nord (1732) d’Herman Moll.

[ 2° ] Litalien, Raymonde ; Palomino, Jean-François ; Vaugeois, Denis. – La mesure d’un continent : atlas historique de l’Amérique du Nord, 1492-1814. – Québec : Septentrion, 2007. – 300 p. – ISBN 978-2-89448-519-4. – Cote BAnQ : 911.7 L775m 2007.

De la succession d’Espagne au traité d’Utrecht (Raymonde Litalien, p. 155-160), L’Acadie entre deux feux à la frontière des empires coloniaux (Raymonde Litalien, p. 165-170), Le face-à-face en Ohio (Denis Veaugeois, p. 190-195), Une conquête annoncée (Raymonde Litalien, p. 227-231).

[ 3° ] Schulten, Susan. – «Mapping American History». – Akerman, James R. ; Karrow Jr, Robert W. ; éditeurs. – Maps : Finding Our Place in the World. – Chicago : The Chicago University Press, 2007. – x, 400 p. – ISBN 978—0-226-01075-5. – Cote BAnQ : en traitement. – P. 166-171 [1718-1755].

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