27 octobre 2013

À force d’imagination

L’accès des peuples à l’éducation, d’emblée revendiquée en tant que droit démocratique fondamental et comme projet d’émancipation sociale, a été et demeurera toujours un enjeu central à tout projet de société évoluée.

Le lancement du livre collectif À force d’imagination s’est déroulé à l’Écomusée du fier monde, le 17 octobre 2013, en présence d’une assistance nombreuse et enthousiaste. Le sympathique Anarchopanda accueillait les participants avec un bouquet de fleurs (œuvre de Moïse Marcoux-Chabot, 2012).

Les intervenants suivants ont pris tour à tour la parole : Marie-Ève Lamy, de Lux Éditeur, et les coauteurs Jean-Pierre Boyer, Jasmin Cormier et David Widgington.

Ouvrage d’un nouveau genre au Québec, cet essai graphique reproduit plus de 400 affiches et artefacts sur le mouvement étudiant depuis 1958. La mise en page est exemplaire. Chaque illustration fait l’objet d’une légende d’indexation : Numéro d’image, « Traduction, s’il y a lieu », Émetteur.e, Support iconographique - technique de reproduction, Dimensions (largeur x hauteur), Auteur.e - [photographe], Date.

Le livre contient en outre des études encadrées par une dédicace, une liste des sigles et acronymes, une liste des organisations et une table des matières, d’une part, et par des notices biographiques, des remerciements et des crédits, d’autre part. Les épigraphes en tête de chapitre sont percutantes!

L’introduction est composée par quatre membres du Centre de recherche en imagerie populaire (CRIP), École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) : Jean-Pierre Boyer, Jasmin Cormier, Jean Desjardins et David Widgington.

Le titre de l’introduction évoque bien l’intention de l’équipe éditoriale : « Images des luttes et mémoire collective pour la suite de l’histoire! ». Elle est divisée en trois parties : la genèse du livre, le contenu des chapitres avec la présentation de leurs auteurs, les visées archivistiques et dynamiques de l’initiative éditoriale.

Les chapitres 1 et 3 racontent l’histoire du mouvement étudiant. Dans un premier temps, les étudiants Arnault Theurillat-Cloutier et Jaouad Laaroussi, s’attardent sur les étapes marquantes de la naissance du mouvement en 1958 jusqu’aux mobilisations prometteuses de 2010. D’événements disparates et de séquences plus ou moins abruptes, ils dégagent des lignes de force en gestation, ces actions éclatantes se transformant graduellement en tradition militante étudiante.

Les auteurs dégagent cinq étapes marquantes dans les décennies précédant le Printemps québécois. La syndicalisation des étudiants (1958-1969) voit surgir la première grève (1958), puis l’adoption de la Charte des droits et responsabilités des étudiants (1961), la fondation de l’UGEQ (1963), le débrayage de plusieurs cégeps et départements universitaires (1968) et le sabordage de l’UGEQ (1969).

Le renouveau syndical prend jour dans le contexte de crises politiques (1970-1978) : la Loi des mesures de guerre (1970), le Front commun et l’emprisonnement des chefs syndicaux (1972), la grève étudiante de 1974 pour une réforme du système des prêts et bourses, la création de l’ANEQ (1975), puis la grève étudiante de 1978 provoquant une réforme partielle des prêts et bourses.

Au cours de la décennie suivante (1979-1989), deux associations dissidentes de l’ANEQ sont créées : la RAEU (1979-1987) et la FAECQ (1982-1988), toutes deux favorables à la conciliation avec le gouvernement. La promulgation de la Loi sur l’accréditation et le financement des associations étudiantes (1983) est leur principal apport au mouvement étudiant. Les grèves de 1986 et 1988 apportent peu ou pas de gains.

La période suivante (1990-2000) marque un nouveau tournant caractérisé par l’hégémonie des fédérations étudiantes, la FEUQ et la FECQ étant respectivement créées en 1989 et 1990. Après l’échec de la grève de 1990 visant à contrer le dégel des frais de scolarité et la coupure des subventions fédérales à l’éducation supérieure en 1995, le MDE est fondé. L’année suivante, cette organisation militante, dénonçant explicitement le néolibéralisme, organise une grève victorieuse : le gouvernement accepte le maintien du gel des frais dans les cégeps.

La dernière séquence analysée par les auteurs commence par la fondation de l’ASSÉ (2001) dans la foulée du Sommet des Amériques. Cette nouvelle association militante dénonce la ZLÉA (2002) et la guerre en Irak (2003). Les mobilisations de 2003 et 2005 n’aboutissent pas aux résultats escomptés, cette dernière causant en plus de profondes frictions entre l’ASSÉ et les fédérations étudiantes. Ensuite, la grève de 2007 s’avère un échec. Par contre, toutes ces mobilisations ont favorisé l’émergence d’une tradition militante étudiante qui rendra possible le Printemps québécois grâce à un long et méritoire travail de mobilisation.

Une cinquantaine d’images illustrent les propos des deux auteurs étudiants, dont celles-ci : une publicité du PLQ préconisant la Gratuité scolaire totale (1960), le croquis Jésus exécuté comme anarchiste en 33 (Jean Gladu, 1968), l’affichette de l’ASSÉ Pour la gratuité scolaire à tous les niveaux pour tous et toutes (Louis-David Lalancette-Renaud, 2006), l’affiche L’UQAM dans la rue : grève étudiante, sauvons l’UQAM (anonyme, 2007), l’affiche de l’ASSÉ dénonçant le piège de La marchandisation de l’éducation (Hadad Hamel, 2007), et l’affichette 2009-2010 : trois fois plus d’étudiants dans les banques alimentaires (anonyme, 2009).

Dans un deuxième temps, l’étudiante Camille Robert retrace les péripéties de la grève générale illimitée du Printemps québécois à partir des prodromes de 2010 et jusqu’à ses répercussions en 2013. Avec ardeur, elle décrit tour à tour plusieurs événements déterminants : des occupations de bureaux ministériels, le pacte de solidarité entre les organisations étudiantes, la manifestation du 10 novembre 2011, la création de la CLASSE le 4 décembre, la vague des grèves initiales en février 2012, le début des répressions policières, la mythique manifestation du 22 mars.

Le mouvement étudiant se poursuit ensuite dans un contexte de plus en plus tendu : des perturbations économiques, les manifestations populaires lors du Salon Plan Nord et du Conseil général du PLQ, les 20 avril et 4 mai, l’échec de l’appel à la grève sociale, la loi spéciale du 18 mai, le recours à la désobéissance civile culminant avec la manifestation de 22 mai rassemblant plus de 300 000 personnes, la tournée nationale de la CLASSE, Nous sommes avenir, qui se conclut le 10 août dans une apothéose à l’Olympia.

Enfin, les derniers événements relatés évoquent le dénouement de la crise sociale : la campagne électorale et la fin de la GGI, la pénible rentrée scolaire, la dissolution de la CLASSE en novembre 2012 et le Sommet sur l’enseignement supérieur de février 2013. En considérant plusieurs questions laissées en suspens, l’auteure conclut sa fresque historique d’une façon critique.

Plus de 130 images illustrent le récit de Camille Robert, une vingtaine d’entre elles ayant été produites par l’auteure. Signalons quelques-uns de ces témoignages : les affichettes de la Manifestation du 10 novembre 2011 (anonyme), Créer un mouvement? Ensemble bloquons la hausse. (Camille Robert, août 2011), Tous et toutes vers la grève (Camille Robert, 2012), Vers la grève générale! (Camille Robert, 22 mars), la pancarte On vous dérange? On veut juste changer le Québec! (anonyme, 22 mars), la bannière La loi spéciale Rosemont s’en casserolle! (APAQ Rosemont – Petite-Patrie, mai), les affichettes C’est une société qui s’éveille. Grande manifestation familiale et populaire (Camille Robert, 2 juin), Cet été, la CLASSE parcourt le Québec : assemblée populaires dans une ville près de chez vous (anonyme, 1er juillet), Villeray désobéit (anonyme, 24 août), Le 10 août à l’Olympia : manifeste Nous sommes avenir (anonyme), La lutte porte fruits : abolition de la hausse, abrogation de la loi 78, amélioration de l’aide financière, renversement des libéraux. Continuons le combat. (Lazlo Bonin, septembre).

Le chapitre 2 est dédié au populaire carré rouge. Dans un texte rempli de délicatesse et de fines analyses, Vivian Labrie puise aux sources de ses expériences et de ses observations pour rappeler les multiples vies du carré rouge, symbole crée en 2004 au sein du Collectif pour un Québec sans pauvreté. Elle poursuit son étude en approfondissant les significations des appropriations et transformations successives du carré rouge.

Plus d’une cinquantaine d’images accompagne l’exposé de la chercheuse tel un autocollant de la CLASSE où deux mains donnent/reçoivent un carré rouge (2011), une intervention d’Archicontre à la station de métro Berri-UQAM (2012), la coute-pointe de Maille à part photographiée par Thien V. (2012), la pancarte Têtes blanches carré rouge d’Éduardo Corro (2012), et le bandeau d’Appel à tous dénonçant le jugement contre Gabriel Nadeau-Dubois (2012).

Le chapitre 4 considère l’actualisation des références historiques et des traditions culturelles populaires dans l’iconographie militante du mouvement étudiant et des mobilisations solidaires du Printemps québécois. Les quatre membres de l’équipe éditoriale passent en revue les formes et techniques utilisées par les militants étudiants et des artistes solidaires :

- les pancartes comme prise de parole citoyenne
- les banderoles militantes ouvrant les manifestations
- les graffitis et les pochoirs sur les murs de la ville
- les affiches diffusées dans la rue et dans les réseaux sociaux
- les dessins politiques, les caricatures et les bandes dessinées
- les photomontages et les mèmes contre les adversaires
- les peintures allégoriques réappropriées
- les créations de peintures en direct et d’œuvres commémoratives
- les usages alternatifs de la signalisation et de la cartographie urbaine
- les utilisations de masques, costumes, effigies et objets insolites.

Le rôle des médias démocratiques est ensuite souligné, par exemple les contributions déterminantes du quotidien Le Devoir, 99%Média et les télévisions étudiantes de l’Université de Montréal et de l’Université Concordia. Les témoignages de plusieurs artistes engagés complètent le chapitre : Artact qc, École de la montagne rouge, Clément de Gaulejac, Chloé Germain-Thérien, Maille à part et Moïse Marcoux-Chabot.

Parmi la centaine d’images reproduites dans ce chapitre, soulignons celles-ci : la photographie Beauchamp de pancartes (Mario Jean, 22 mars 2012), l’affichette Manifestation nationale du 22 mars (anonyme), l’affiche L’intimidation doit cesser (Clément de Gaulejac, 13 avril), la carte de géolocalisation #manifencours 2.0 (Maxime Larrivée-Roy, 26 mai), la bande dessinée Manif des bonhommes (Plus de 200 illustrateurs, 28 mai), les montages La naissance de Vénus et La création d’Adam (anonymes), la peinture en direct Les forces en présence (Nicolaï Kupriakov, 1er juin), la marionnette L’oie spéciale (Chloé Germain-Therrien, 22 août), la peinture La brutalité policière en classe (Artact qc, 28 août), la carte postale à la Montréal (anonyme), et la courtepointe La lutte commence (Maille à part, 30 août).

Dans le chapitre 5, Francis Dupuis-Déry, auteur engagé et politicologue à l’UQAM, explique pourquoi la grève étudiante, d’abord axée sur l’éducation, s’est élargie à une lutte populaire mettant en cause le néolibéralisme. Il fonde ses explications sur l’élargissement de la grille d’interprétation des problématiques rencontrées. Cette amplification favorise la solidarité avec d’autres forces sociopolitiques. L’auteur passe ensuite en revue certaines catégories d’illustrations plus radicales notamment contre la répression policière.

Une soixantaine d’images illustrent ce dernier chapitre, dont la pancarte L’éducation est un droit pas une marchandise (anonyme, 2007), l’affiche Grève générale (anonyme, 2012), la pancarte Mères en colère et solidaires (anonyme, mai), l’affiche Unis : étudiants, travailleurs, Québécois (École de la Montagne rouge, juin), la pancarte Grand prix de la matraque : 2984 arrestations (Éduardo Corro, juin), l’affichette Dehors la corruption néolibérale! (anonyme, 22 juillet), et le pochoir Pour votre sécurité, vous n’aurez plus de libertés. (anonyme).

Avec ses centaines de reproductions d’affiches et d’artefacts, son introduction, ses cinq essais, ses listes de sigles, acronymes et organisations, cet ouvrage collectif sera assurément un outil de référence pour la présente génération et les prochaines générations d’étudiants et de manifestants dévoués à l'éducation, la démocratie et la justice sociale.

Référence

Boyer, Jean-Pierre; Cormier, Jasmin; Desjardins, Jean; Widgington, David. – À force d’imagination. Affiches et artefacts du mouvement étudiant au Québec (1958-2013). – Montréal : Lux Éditeur, 2013. – 190p. – ISBN 978-2-89596-174-1. – Bibliothèques de Montréal et BAnQ : 741.67409714 A11193 2013. – [Citation : Introduction, p. 11].

Sur la Toile

À force d'imagination, Collectif d'auteurs (Caroline Montpetit, Le Devoir, 9 novembre 2013)
Artéfacts d'un printemps érable (Photos du lancement par André Querry et David Widgington, 17 octobre 2013)
Centre de recherche en imagerie populaire (CRIP)
David Widgington parle du livre d'affiches à CKUT 90,3fm (11 octobre 2013)
École des médias (UQAM)
Écomusée du fier monde (Musée d’histoire et musée citoyen)
Lux Éditeur (À force d’imagination)

Articles connexes

Création en temps de crise sociale
Carré rouges au CCA
Le Printemps québécois | Une anthologie
Projets carré rouge

De l'école à la rue
Gabriel Nadeau-Dubois | Tenir tête

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