Le naufrage de l’université
L’essai de Michel Freitag porte sur l’enseignement supérieur et la recherche à l’université. Dans cette étude, le sociologue québécois d’origine suisse propose un point de vue critique sur l’université contemporaine.
L’exposé est divisé en trois sections (cinq parties) : introduction (optique privilégiée par l’auteur), analyse (finalités de l’université, recherche d’une réalité en fuite, tâches actuelles de l’université), conclusion (propositions).
Introduction
Michel Freitag aborde principalement le problème de la recherche universitaire dans son essai : « La question que je veux soulever relativement à la recherche concerne d’abord ses finalités et leur justification, comprises dans leur rapport aux finalités de l’université et de la société (incluant les individus avec leurs possibilités et leurs orientations existentielles et pas seulement stratégiques). » (p. 27)
Son argumentation est basée sur ce jugement de valeur : à la suite de la mutation du statut sociétal de l’université, l’institution de formation est devenue une institution d’organisation de production et de contrôle.
Son analyse est envisagée sous une optique bien précise : « […] la question qui sera traitée ici est d’abord envisagée du point de vue des sciences humaines et de la mutation qui s’opère en elles à mesure qu’elles en viennent, académiquement, à s’appréhender elles-mêmes à partir du modèle du développement de la recherche et de la formation à la recherche.» (p. 31)
Analyse
Freitag distingue deux visions de l’université, auparavant considérée comme institution et désormais transformée en organisation : « L’aspect institutionnel renvoie à la priorité des fins, l’aspect organisationnel, à la priorité des moyens. » (p.32)
Il retrace ensuite les grands jalons historiques de l’évolution de l’université occidentale, depuis le Moyen Âge jusqu’au 19e siècle. Le modèle classique de l’université qui émerge petit à petit en Europe est transformé en profondeur dans les universités américaines : « En un mot, l’université américaine est devenue essentiellement une structure de gestion, une entreprise. » (p. 39)
« Cette transformation de l’université s’opère parallèlement à une mutation épistémologique de la connaissance scientifique […] » : « L’objet de la science n’est plus la connaissance du monde, mais la prévision des effets de nos interventions pratiquement finalisées sur le monde. » (p. 40, 42)
Dans un deuxième temps, après ce survol historique, Freitag note et explique les implications de cette transformation sur la recherche : « En tant qu’êtres humains, nous ne nous étudions plus, réflexivement, pour savoir qui nous sommes, quelle est notre place dans le monde et ce que nous pouvons espérer; nous ne faisons plus que de la « recherche » sur les mille conséquences de tout ce que nous faisons; la prévision, la programmation et le contrôle de ces conséquences sont devenus les conditions mêmes de notre existence ». (p. 51)
Le sociologue complète son analyse par une magistrale dénonciation de la recherche universitaire contemporaine qui « a fait l’objet d’une promotion idéologique sans pareil ». Il souligne que le néo-libéralisme a joué un rôle déterminant à cet égard. Il cite plusieurs exemples de dérives constatées à l’UQAM et à l’Université de Montréal. (p. 57)
Pour corriger la situation actuelle, Freitag souhaite que l’université renouvelle son projet éducatif, qu’elle « se recentre sur un projet d’éducation supérieure d’orientation humaniste ». (p. 59)
Conclusion
L’auteur termine son essai par des propositions pratiques basées sur un postulat touchant la nature et la finalité de l’université : « Il lui appartient d’abord d’être un lieu d’orientation réfléchie du développement de la société […] » (p. 66)
Deux principes découlent de ce postulat :
1° – la recherche universitaire doit être animée par un effort de synthèse compréhensible qui représente aussi la finalité de l’enseignement;
2° – l’université doit engager « des enseignants qui maîtrisent, développent et savent transmettre pédagogiquement des connaissances disciplinaires, et non des chercheurs travaillant à des programmes ponctuels », c'est-à-dire des professeurs tout court en non des professeurs-chercheurs. (p. 66)
Freitag conclut son exposé par cette pensée : il importe d’infléchir le mouvement auquel participe l’université en changeant de cap.
Contexte
J’ai emprunté Le naufrage de l’université à la Grande Bibliothèque après avoir lu ce dialogue sur le microblogue de Gabriel Nadeau-Dubois (18 juillet 2012, 14 h 27) :
Question : Aurais-tu quelque chose à lire à nous recommander en tant qu’étudiant en Histoire avant les élections? Merci.
Réponse : « Le Naufrage de l’Université » de Michel Freitag.
Cette recommandation témoigne, entre autres, de la culture humaniste de l’illustre coporte-parole de la Coalition large de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE).
Référence
Freitag, Michel. – Le naufrage de l’université et autres essais d’épistémologie politique. – Québec : Nuit blanche, 1995. – 301p. – ISBN 2-7071-2502-2. – Cote BAnQ : 306.42 F8665n 1995. – [Chapitre 1 – Le naufrage de l’université, p. 27-71].
Pour cet ouvrage, l’auteur a reçu le Prix du Gouverneur général du Canada en 1996.
Épistémologie (définition)
Partie de la philosophie qui a pour objet l'étude critique des postulats, conclusions et méthodes d'une science particulière, considérée du point de vue de son évolution, afin d'en déterminer l'origine logique, la valeur et la portée scientifique et philosophique. (TLFi)
Sur la Toile
Michel Freitag (1935-2009) (Wikipédia)
Michel Freitag (1935-2009) (Textes) (Les classiques des sciences sociales)
Société (Revue cofondée par Michel Freitag)
Freitag ou la nécessaire critique de l’école-marchandise (Éric Martin, Le Devoir, 12 septembre 2015)
Article connexe
Nous sommes avenir
Aucun commentaire:
Publier un commentaire