24 mai 2025

Les os de la méduse


Les cadavres ont rarement le sens de l’humour. Celui-là faisait définitivement exception. On aurait dit qu’il souriait.

Ce sont les premières phrases du roman de Jean-Louis Blanchard. Le ton désopilant du polar est donné. Pour l’enchantement du lecteur, comme ce fut le cas pour Le silence des pélicans. Une nouvelle enquête de Bonneau et Lamouche, tout aussi captivante.

Un cadavre singulier est découvert dans une riche demeure de Montréal. En inspectant les lieux, l’inspecteur adjoint Lamouche prend quelques photos, dont celle-ci : Le radeau de la Méduse. «Il s’agissait d’un énorme tableau qui occupait l’un des murs du grand salon. Ce n’était pas tant le sujet de cette peinture qui l’intéressait, mais le fait que celle-ci occupait un mur complet à elle seule. En fait, il était manifeste qu’on avait aménagé cet espace précisément pour y installer ce tableau.»

L’intrigue multiforme est serrée, mais le lecteur peut tout de même noter quelques indices épars au cours de sa lecture. Par ailleurs, d’un chapitre à l’autre, analyser la structure narrative du récit s’avère un régal.

Bref, une enquête palpitante ! Une écriture enlevante !

Référence

Blanchard, Jean-Louis. – Les os de la méduse. Une enquête de Bonneau et Lamouche. – Montréal : Groupe Fides, 2024. – (Biblio-Fides). – 405 p. – ISBN 978-2-7621-4658-5. – [Citations : p. 5, 43]. – Bibliothèques Montréal et BAnQ : BLA JL os; Blanchard B6395o.

L’auteur a reçu à Saint-Pacôme le prix Jacques-Mayer du premier polar pour Le silence des pélicans, première enquête de Bonneau et Lamouche. – [Note biographique, p. 405].

Image

Le Radeau de la Méduse (Théodore Géricault, 1818-1819) [Wikipédia]

Article connexe

Le Silence des pélicans (Jean-Louis Blanchard)

Sur la Toile

Le radeau de la Méduse (Théodore Géricault, 1818-1819) [Le Louvre]
Le Radeau de La Méduse (analyse) [Panorama de l’Art]

18 mai 2025

Une histoire des livres botaniques marquants


The books and manuscripts included in our Botanists’ Library reflect our interpretation of how botany has developed over time amid shifting attitudes, approaches, knowledge and resources. […] It is a tumultuous story of curiosity, power and greed – and of our relentless quest to quatify and classify the natural world that is ongoing today.

Les autrices britanniques Carolyn Fry et Emma Wayland recensent et présentent les livres ayant eu un impact majeur sur l’émergence et le développement de la botanique au cours de l’histoire. L’image d’un tournesol figure sur la page de couverture.

L’introduction explique le but des autrices et les modalités de sélection des ouvrages, compte tenu des œuvres détruites par les catastrophes naturelles et humaines. Puis, le contenu des six parties du livre est ensuite esquissé.

Première partie (Antiquité à 1450) – Les livres retenus sont des manuscrits portant principalement sur des plantes médicinales composés dans les premières civilisations : Égypte, Inde, Grèce, Monde gréco-romain, Europe médiévale (monastères), Chine, Inde médiévale, Monde islamique (et son influence en Europe chrétienne). Une quarantaine d’illustrations (livres, planches botaniques, portraits, œuvres d’art) accompagnent et enrichissent les exposés, par exemple 4 planches du Codex Vindobonensis [Dioscoride] et 7 planches du Carrara Herbal [Sérapion le Jeune ou Ibn Sarabi].

Deuxième partie (1450-1600) – C’est l’époque de la Renaissance. L’importance de l’imprimerie est soulignée : «The stydy of plants was changed completely by printed books, a global shift in the way knowledge was owned, distribued ans used.» Plusieurs publications européennes illustrent les changements successifs apportés pour l’édition de livres botaniques. À titre d’exemple (plusieurs planches) : Herbarium vivae eicones (Otto Brunfels, 1530) et De historia stirpium (Leonhart Fuchs, 1542). Le bref et dernier chapitre est dédié au monde non européen. Le Codex de Florence [Bernardino de Sahagún, 1558-1577] est cité en exemple. Cette partie compte 40 illustrations, dont 20 planches, 5 portraits et la Carte de la Floride (Jacques Le Moyne de Morgues, Théodore de Bry, 1591).

Troisième partie (1600-1750) – Les botanistes européens s’intéressent davantage à l’ensemble des plantes, dont les plantes non médicinales ou importées des autres continents. L’impression des livres par gravure sur bois cède graduellement la place à la gravure sur plaque de cuivre.

Les florilèges mettent en valeur l’esthétique des plantes, par exemple le Mr. Marshal’s Book (Alexander Marshal, 1650). La commercialisation des plantes se développe, comme l’atteste ce catalogue de semences : Twelve Months of Flowers (Robert Furber, 1730). Par ailleurs, les botanistes commencent à publier des flores [taxonomie], par exemple : Catalogus plantarum Angliae [espèces] (John Ray, 1670); Prodromus historiae generalis [familles] (Pierre Magnol, 1689); Éléments de botanique ou méthode pour connaître les plantes [genres] (Joseph Pitton de Tournefort, 1694).

L’impérialisme et le mercantilisme européens favorisent l’exploitation de leurs colonies, notamment dans le domaine botanique. Ces publications en témoignent : Rerum medicarum Novae Hispaniae thesaurus (Francisco Hernández, 1651), Historia naturalis Brasiliae (Georg Macgrave et Willem Piso, 1648), Herbarium amboinense (Johannes Burman, 1741-1750), Hortus Malabaricus (Hendrik van Rheede, 1678-1693).

Deux ouvrages illustrent l’intérêt envers la biodiversité : Metamorphosis Insectorum Surinamensium (Maria Sibylla Merian, 1705), The Natural History of Carolina, Florida and the Bahama Islands (Mark Catesby, 1731-1743).

Un bref passage porte sur l’exploration botanique en Extrême-Orient (Chine, Japon) et la publication de ces deux livres européens : Flora sinensis (Michał Piotr Boym, 1656), Amoenitatm exoticarum (Engelbert Kaempfer, 1712).

Les derniers chapitres ont trait à deux innovations : l’utilisation du microscope pour étudier l’anatomie des plantes (Micrographia, Robert Hooke, 1665) et la nouvelle classification des plantes par Carl Linnaeus (Species Plantarum, 1753).

Cette partie compte 65 illustrations, dont 39 planches et 10 portraits.

Quatrième partie (1750-1830) – C’est le siècle des Lumières. Les publications de grands naturalistes et botanistes de cette époque sont présentées. À titre d’exemple : Curtis’ Botanical Magazine (1787-) [William Curtis], La Botanique mise à la portée de tout le monde (Nicolas Regnault, 1774-1780), Herbier de la France (Pierre Bulliard, 1780-1793), Selectarum stirpium americanarum (Nikolaus von Jacquin, 1763), Plantae Asiaticae rariores (Nathaniel Wallich,1839-1832), Les Roses et Choix des plus belles fleurs (Pierre-Joseph Redouté, 1817-1824 et 1827), Flore française (Alphonse de Candolle, 1805-1815), Muscologia Britannica (William Jackson Hooker et Thomas Taylor, 1818). Cette partie compte 65 illustrations, dont 39 planches et 13 portraits.

Cinquième partie (1830-1950) – La botanique devient une science. Le premier chapitre est consacré à la botanique au Japon. À titre d’exemple : l’atlas Honzō Zufu (Iwasaki Tsunemasa, 1828-). Les chapitres suivants portent sur les collections d’orchidées, la théorie de l’évolution de Charles Darwin, le rôle de pionnières en botanique (Anna Atkins, Jane London, Charlotte Mary Young), la classification des plantes de George Bentham (Genera plantarum, 1862-1863), les travaux sur la génétique de Gregor Mendel, l’intérêt envers l’écologie, les jardins et les parcs, la ferveur envers les flores nationales (ex.: Gaston Bonnier, Flore complète illustrée de France, Suisse et Belgique, 1911-1934), et l’étude des plantes au niveau de la cellule. Cette partie compte 66 illustrations, dont 28 planches et 18 portraits.

Sixième partie (1850 à nos jours) – Le monde contemporain. Ces thèmes sont successivement abordés : la découverte de la structure de l’acide désoxyribonucléique (ADN); de nouvelles classifications des plantes (Armen Takhtajan, Arthur Cronquist, Angiosperm Phylogeny Group); la publication de nouvelles flores [éventuellement sous forme numérique] : Flora Europaea (1964-1993), Flora of the USSR (1931-1964), Flora Reipublicae Popularis Sinicae (1959-2004), Flora of North America (1993-2024), Flora of Tropical East Africa (1948-2012), Flora of West Tropical of Africa (1954-1972); les préoccupations envers l’environnement et les changements climatiques. La pertinence d’illustrations botaniques est ensuite abordée, la découverte de l’espèce Victoria boliviana (2022) illustrée par l’artiste Lucy T. Smith est relatée à titre d’exemple. Le chapitre est complété par la présentation de florilèges et de guides botaniques, par exemple : The Alcatraz Florilegium (2016) et Collins Pocket Guide to Wild Flowers (David McClintock et R.S.R. Fitter).

Le livre est complété par un index, des suggestions de lectures complémentaires, les crédits photographiques et les remerciements.

Une synthèse intéressante et instructive sur l’histoire des publications botaniques majeures, avec une abondance d’illustrations exemplaires.

Référence

Fry, Carolyn; Wayland, Emma. – The Botanists’ Library. The Most Important Botanical Books in History. – Londres : Ivy Press, 2024. – 272 p. – ISBN 978-0-71129-495-0. – [Citations : p. 10, 1, 52]. – BAnQ : 016.58 F946b 2024.

Image

Tournesol (Helianthus annuus, Asteraceae) © Claude Trudel, Le monde en images, CCDMD. Photo prise au Jardin botanique de Montréal, tirée de l’album Plantes traditionnelles. – Une planche de Tournesol dessinée par Alexander Marshal est reproduite dans The Botanists’ Library, à la page 94.

Sur la Toile

Albums botaniques (livres numériques gratuits). – Les albums de photos peuvent être consultés directement en ligne, sans téléchargement préalable.

Collection de photos. – La collection de Claude Trudel compte plusieurs milliers de photos botaniques. Les photos peuvent être vues individuellement ou en diaporama. Elles peuvent aussi être envoyées au format carte postale virtuelle. Sous une licence CC BY-NC-SA, les photos peuvent être utilisées gratuitement à des fins éducatives non commerciales.

10 mai 2025

Histoires étranges et merveilleuses / Ahmad al-Qalyoûbî


Il suffit, pour donner une première idée de l’importance de l’ouvrage que nous présentons aujourd’hui, de rappeler qu’il puise très exactement aux mêmes sources que les Mille et Une Nuits – même si l’auteur s’ingénie à traiter « à sa manière » les thèmes chers à l littérature arabe populaire. (René R. Khawam)

Les contes du recueil Histoires étranges et merveilleuses d’Ahmad al-Qalyoûbî (c.1580-1659) ont été traduit sur les manuscrits originaux par René R. Khawam (1917-2004).

L’introduction du traducteur compte 31 pages, suivie de la liste des ouvrages d’Ahmad al-Qalyoûbî (4 pages) : Commentaires, Ouvrages religieux, Géographie, Histoire, Autres sciences, Ésotérisme, Littérature. Les notes infrapaginales de René R. Khawam sont nombreuses, en particulier sur les personnages et lieux cités dans les contes. Par ailleurs, le livre est complété par un index des noms propres et la table des matières.

Après avoir souligné l’importance du recueil de contes, dans le paragraphe initial de son introduction, René R. Khawam aborde successivement ces thèmes :

1° contexte social – Éléments biographiques sur Ahmad al-Qalyoûbî, sa ville et région de naissance (près du Caire), et le milieu culturel de son époque : «Depuis toujours, cette contrée du terroir égyptien le plus pur, le plus authentique, baignait dans une atmosphère de légende sacrée, de mystère. Le monde invisible y avait sa place naturelle, au sein de la réalité quotidienne des tâches paysannes et des devoirs commandés par la religion du Prophète.» À titre d’exemple Khawam cite deux grandes festivités annuelles reliées à la crue du Nil et le départ des pèlerins pour La Mekke.

2° contexte intellectuel – Le Caire est le centre spirituel du monde islamique, alors que l’Égypte est dirigée par un pacha turc et qu’elle n’est plus le grand centre commercial de la Méditerranée orientale. À l’université coranique d’al-Azhar, Ahmad al-Qalyoûbî suit l’enseignement de maîtres prestigieux, dans un contexte où la filiation de maître à disciple joue un grand rôle. Devenu enseignant vers 1630, Ahmad al-Qalyoûbî jouit d’une réputation marquante, tant pour sa personnalité que pour son érudition dans les domaines les plus divers. À titre d’exemple, Khawam cite des extraits portant sur le traitement des humeurs et l’interprétation des songes.

3° contexte politique – L’Empire ottoman est en pleine décadence : «Ahmad al-Qalyoûbî de son vivant ne verra pas moins de six sultans se succéder sur le trône turc». L’Égypte subit les conséquences de ce déclin impérial. Dans ce contexte instable et violent, Ahmad al-Qalyoûbî se consacre à promouvoir la restauration des valeurs traditionnelles de l’Islam.

4° contexte éditorial – Khawam compare les nombreuses éditions arabes et quelques traductions antérieures, en soulignant les différences significatives avec les manuscrits originaux. Sa traduction, à partir de ceux-ci, respecte les compositions les plus authentiques des 151 contes des Histoires étranges et merveilleuses. Il présente ensuite les caractéristiques littéraires des contes d’Ahmad al-Qalyoûbî : thèmes, sujets, style d’écriture, procédés littéraires. Il conclut son exposé en proposant la lecture des contes selon quatre niveaux : anecdote, remontrance morale, enseignement proprement religieux et surtout initiatique.

La lecture préalable de l’introduction permet de mieux comprendre, apprécier et savourer la richesse de la langue populaire des contes arabes d’Ahmad al-Qalyoûbî.

Référence

al-Qalyoûbî, Ahmad. – Histoires étranges et merveilleuses. – Traduction intégrale, par René R. Khawam. – Paris : Éditions Phébus, 2019 © 1977. – (Collection Libretto, n° 662). – 313 p. – ISBN 978-2-36914-499-1. – [Citations : p. 7, 9, 22]. – Bibliothèques de Montréal et BAnQ : 398.20953 QAL et Qalyubi Ahm Q11h.

Traducteur

René R. Khawam (Wikipédia)
René R. Khawam, traducteur de la littérature arabe classique (Le Monde)

Image

Céramique d’Iznik © Claude Trudel, Le monde en images, CCDMD.

Articles connexes

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02 mai 2025

Le silence des pélicans


– J’avais demandé un poisson, pas de la gibelotte !
C’est un tartare de saumon. Vous avez vous-même choisi ce plat sur le menu.
T’appelles ça un menu ? J’haïs ça les restaurants où il faut apporter un dictionnaire ! Des titres compliqués juste pour charger plus cher !

Ce dialogue entre l’inspecteur Bonneau et le serveur du Bistoquet est à l’image d’innombrables conversations et situations hilarantes relatées tout au long du polar de Jean-Louis Blanchard. Les personnages, les intrigues et les lieux du roman diffèrent de ceux du film Le silence des agneaux, bien que celui-ci fasse l’objet d’un commentaire cocasse de la part du policier.



Tout commence par un accident mortel à l’intersection des rues Ontario et Dufresne, dans le Centre-Sud de Montréal. C’est le Prologue.

Dès le chapitre initial, le lecteur fait connaissance avec l’inspecteur Bonneau dont l’incompétence est notoire. Un assassinat survient au cours du chapitre suivant. Puis, au chapitre 3, l’inspecteur chevronné apprend qu’on lui impose un assistant dénommé Lamouche, fraîchement renvoyé de l’École de police de Nicolet pour insubordination. Ces protagonistes, comme tous les autres personnages, sont bien typés.

Une enquête de Bonneau et Lamouche.

La lecture du roman est très agréable, le style d’écriture étant limpide et bien rythmé. Les multiples intrigues s’enchaînent avec cohérence et fluidité. Plusieurs péripéties sont évidemment dramatiques, mais elles contiennent aussi des éléments amusants ou burlesques. Les dialogues sont serrés, mais généralement savoureux.

Un livre qui se lit d’une traite !

Référence

Blanchard, Jean-Louis. – Le silence des pélicans. Une enquête de Bonneau et Lamouche. – Montréal : Groupe Fides, 2023. – (Biblio-Fides). – 376 p. – ISBN 978-2-7621-4615-8. – [Citation : p. 89]. – Bibliothèques Montréal et BAnQ : BLA JL si ; Blanchard B6395s.

L’auteur a reçu à Saint-Pacôme le prix Jacques-Mayer du premier polar pour Le silence des pélicans, première enquête de Bonneau et Lamouche. – [Note biographique, p. 375].

Image

Fleuve Saint-Laurent © Claude Trudel, Le monde en images, CCDMD.