12 janvier 2014

Folie et névrose de guerre

L’étude de Geneviève Allard (1971-2011) intitulée Névrose et folie dans le Corps expéditionnaire canadien (1914-1918) : le cas québécois est une œuvre posthume dont les droits sont alloués à l’Association post-traumatique du Canada. Initialement, le contenu de cet ouvrage visait la présentation d’une thèse de doctorat. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur les remerciements émouvants de Michel Pelletier, le conjoint de Geneviève Allard, et ceux de l’auteure envers ses collaborateurs et sa famille.

Introduction

Geneviève Allard cite deux cas de soldats québécois pour introduire l’enjeu majeur de la névrose et de la folie dont sont victimes de nombreux militaires : « La gestion des troubles nerveux pendant la guerre pose des défis militaires et médicaux, mais aussi politiques, sociaux et économiques. Les militaires névrosés et atteints de folie dérangent les autorités et inquiètent le public. »

Dans la suite de son introduction, la doctorante aborde le contexte de l’étude et du traitement des maladies mentales à l’aube de la Première Guerre mondiale, indique les sources documentaires consultées, esquisse l’historiographie portant sur son sujet d’étude, précise l’orientation de ses recherches et présente les diverses parties de son exposé.

Chapitres

Le livre compte quatre chapitres : l’évolution et l’ampleur des troubles nerveux, l’exemple de l’hôpital Granville, le portrait des militaires malades mentaux et l’impact social des troubles mentaux.

Le chapitre 1 comprend trois volets : la terminologie, le phénomène, le suivi. Avant de définir les troubles nerveux dans le contexte de la guerre, Geneviève Allard cite trois cas de militaires québécois : Joseph Carrière (25 ans), Thomas Michaud (29 ans) et Adélard Montmagny (31 ans). Elle évoque ensuite le contexte d’où émergent ces maladies, notamment la Guerre de Sécession et l’industrialisation de la guerre. Les termes névroses de guerre, hystérie, troubles fonctionnels et neurasthénie sont ensuite expliqués dans le contexte de l’époque. Dans un deuxième temps, l’auteure traite de la problématique des statistiques concernant les militaires névrosés et aliénés. L’évaluation de l’état de la profession psychiatrique clôt le chapitre avec cette remarque liminaire : « […] l’appropriation de la santé mentale par la profession médicale servit plus les professionnels que les malades. » La situation déplorable des asiles francophones du Québec est soulignée.

Le chapitre 2 débute par l’histoire de l’hôpital militaire canadien Granville dédié à la névrose, mais non à la folie, créé en septembre 1915 dans la ville anglaise de Ramsgate. Mais en juillet 1917, à la suite de bombardements, les patients seront transférés à l’hôpital de Buxton jusqu’à la fin de la guerre. Geneviève Allard décrit l’aménagement des lieux et les soins prodigués aux malades. Deux activités sont privilégiées chez les patients : le travail dans l’hôpital ou en atelier et les pratiques sportives. À cela s’ajoutent trois catégories de traitement : électrothérapie, hydrothérapie et traitement par la chaleur. La deuxième partie du chapitre est consacrée au rôle déterminant du docteur Colin Kerr Russell (1877-1956). Trois mots résument l’approche de ce pionnier de la neurologie au Canada : volonté, raison et contrôle. Une analyse fouillée des statistiques sur les patients hospitalisés complète ce chapitre. Par exemple, l’auteure souligne que plus de la moitié des effectifs du Corps expéditionnaire canadien étaient d’origine autre que canadienne et que le diagnostic de névrose de guerre est aléatoire.

Le chapitre 3 traite des défis spécifiques aux militaires atteints de folie. L’étude approfondie de ces cas porte sur un échantillon de 46 soldats, 31 anglophones et 15 francophones, dans les asiles québécois entre 1916 et 1920. L’auteure constate qu’ « au sein du Corps expéditionnaire canadien, les névrosés avaient une chance de salut, les fous aucune ». La deuxième partie du chapitre examine les mesures administratives dont les soldats handicapés bénéficièrent. Les tâches de la Commission des hôpitaux militaires et le Bureau des pensions sont détaillées. Le rôle déterminant du psychiatre Clarence B. Farar est souligné et comparé à celui de Colin Russel. Tout compte fait, les soldats névrosés obtenaient une pension fédérale plus généreuse que celle allouée aux soldats fous.

Le chapitre 4 est consacré à l’impact des troubles nerveux sur la profession psychiatrique et la société. Dans la foulée du mouvement hygiéniste américain, un Comité canadien sur l’hygiène mentale est créé. À ce moment-là, la maladie mentale est interprétée comme une des principales causes des bouleversements sociaux. Les problématiques sont soulevées : épilepsie, déficience, alcoolisme, vieillissement. Les préoccupations économiques et sociales prennent le pas sur la recherche des traitements les plus efficaces. Le recours aux psychiatres et aux travailleurs sociaux est valorisé. L’établissement de l’hôpital Sainte-Anne et la complexité des relations fédérales-provinciales sont relatés et expliqués. La Commission Ralston (1922) fait l’objet de la fin de ce chapitre. Elle constitue un tournant, car elle « cautionne la légitimité des maladies mentales comme blessures de guerre ».

Conclusion

Geneviève Allard divise sa conclusion en deux parties. La première retrace les grandes lignes de son étude, dont celles-ci : l’endiguement de la désertion en considérant les névrosés de guerre comme des malades mentaux, la soumission des médecins du Corps expéditionnaire canadien aux impératifs militaires, les problématiques liées à la terminologie médicale et aux statistiques, l’hôpital Granville et le docteur Russel.

La seconde partie est consacrée au rôle de l’État. Les cas de névroses et de folie sont considérés d’une façon très différente, mais les soldats affectés par ces maladies mentales seront finalement traités plutôt également après la guerre au point de vue du suivi médical et des pensions attribuées aux vétérans. Le contexte a aussi favorisé la transition de l’asile à l’hôpital psychiatrique. Dans cette partie, l’auteure soulève plusieurs questions laissées en suspens et suggère plusieurs pistes pour des recherches historiques ultérieures telle la notion de choc post-traumatique.

Terminons cette recension en citant ces propos de Geneviève Allard : « L’impact social et culturel du shellshock et la réalité des soldats détruits mentalement par la guerre sont encore présents de nos jours, même si les combattants de la Première Guerre mondiale nous ont quittés. Le nombre de films, de livres et de documentaires qui portent sur le thème de la névrose et de la folie pendant la guerre montre à quel point ce court épisode de l’histoire militaire est devenu synonyme d’un choc violent et brutal. »

Compléments

La bibliographie est évidemment exhaustive, l’étude de Geneviève Allard ayant d’abord été menée en vue de l’obtention d’un doctorat. Elle en ainsi ventilée : Liste des abréviations, Archives de BAC, Sources primaires, Sources secondaires. Un index et une table des matières détaillée complètent l’ouvrage.

Appréciation

L’ouvrage aborde un sujet très spécialisé, mais sa lecture est conviviale grâce à son style direct et limpide. L’auteure fait preuve d’un grand souci scientifique, mais aussi d’un humanisme exemplaire. Un témoignage émouvant et précieux sur une des plus grandes tragédies de l’humanité et sur la condition humaine des personnes défavorisées par le sort et les circonstances.

Contexte

2014 marque le centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale, mais ce n’est pas pour cette raison que j’ai entrepris la lecture de Névrose et folie dans le Corps expéditionnaire canadien (1914-1918) : le cas québécois. J’ai choisi de lire cette étude pour essayer de mieux comprendre le destin tragique de Jacques Larose (1898-1920) qui m’a inspiré une courte nouvelle : Tué à bout portant.

Ce jeune Québécois, né aux États-Unis d’Amérique, s’est enrôlé volontairement dans le Corps expéditionnaire canadien. Dès le début de son service actif, il est blessé au front, près de Lens, en France. Il est hospitalisé ensuite dans plusieurs hôpitaux militaires en Angleterre jusqu’à la fin de la guerre. La suite de sa vie est racontée dans les documents du dossier complémentaire à la nouvelle.

Référence

Allard, Geneviève. – Névrose et folie dans le Corps expéditionnaire canadien (1914-1918) : le cas québécois. – Montréal : Athéna Éditions, 2012. – 242p. – (Histoire militaire). – ISBN 978-2-924142-02-8. – Bibliothèques de Montréal et BAnQ : 616.85212 et 616.85212 A419n 2012.

Sur la Toile

Association canadienne pour la santé mentale (ACSM)
Santé mentale (Anciens combattants Canada)
Santé mentale (Gouvernement du Québec)

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